Les personnes intersexes restent légalement peu protégées et dans les faits largement exposées aux violences médicales, s'inquiète la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI, une émanation du Conseil de l'Europe) dans son rapport annuel publié mercredi.
Parmi les 46 États membres du Conseil de l'Europe, "bon nombre de pays n'ont pas de directives ni de protocoles adéquats concernant l'offre de soins médicaux aux personnes intersexes", relève l'ECRI. C'est notamment le cas en Belgique: jusqu'à présent aucune loi n'interdit explicitement les interventions médicales sur les mineurs intersexes.
Pourtant, une telle variation est un phénomène naturel et relativement fréquent. En Belgique, cinq enfants naissent en effet chaque jour avec une variation - par rapport aux définitions classiques de la masculinité ou de la féminité - des caractéristiques sexuelles (tels que l'anatomie sexuelle, les organes reproducteurs, le fonctionnement hormonal ou le modèle chromosomique), selon les données de l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes. Ce chiffre correspond à peu près au nombre de jumeaux et de jumelles qui naissent dans notre pays.
De manière générale, la situation de ces personnes reste largement méconnue du public en Europe, et notamment des parents ou tuteurs d'enfants intersexes. Mal informés, ces derniers ne savent pas s'ils doivent autoriser ou non une intervention chirurgicale. Les opérations de "normalisation du sexe" (qui s'apparentent en réalité à des mutilations génitales) ou traitements sans nécessité médicale restent d'ailleurs licites dans la plupart des pays européens, "au mépris du droit des personnes intersexes à l'intégrité et à la diversité physiques".
L'ECRI note en outre que des dossiers médicaux reprenant les opérations pratiquées sur des enfants intersexes ont été "perdus ou détruits". Difficile, dans ces conditions, d'évaluer par après si une nouvelle intervention médicale est nécessaire.
Dans son rapport, la Commission remarque par ailleurs que les discours transphobes sont encore fortement répandus. Dans de nombreux pays européens, ils émanent le plus souvent de responsables politiques en période électorale, ou en réaction à l'élaboration de lois progressistes (par exemple sur la reconnaissance juridique du genre).
La protection des enfants contre "l'idéologie du genre" constitue l'argument phare des individus qui tiennent ces propos haineux envers les personnes LGBTQIA+. À titre d'exemple, en mars dernier, le Parlement hongrois a adopté un amendement déclarant que le droit des enfants prévaut sur tous les autres. Cette législation fait craindre une interdiction générale de la Budapest Pride, soit la Marche des fiertés organisée chaque année dans la capitale hongroise pour défendre les droits des personnes homosexuelles, bisexuelles, queer, transgenres ou autres. Organisateurs et participants, qui seront identifiés via des outils de reconnaissance faciale, sont passibles d'une amende allant jusqu' à 500 euros.
Autre illustration, "des personnes et des organisations prétendant protéger les enfants ont manifesté une forte opposition à tout enseignement scolaire adapté à l'âge sur les identités transgenres et, plus encore, à toute suggestion selon laquelle les enfants transgenres plus âgés devraient avoir la possibilité d'obtenir une reconnaissance juridique du genre", souligne l'ECRI.
La transphobie se marque à tous les échelons de la société. Certains employeurs rechignent ainsi à engager des personnes transgenres, et des propriétaires à les choisir comme locataires. Ce rejet du marché de l'emploi classique pousse certaines personnes transgenres vers le marché informel et risqué du travail du sexe. De même, de nombreuses personnes transgenres se retrouvent à la rue en raison de ce rejet sur le marché du logement. La culture n'échappe pas non plus aux assauts transphobes: l'ECRI signale que des pressions sont exercées par des personnalités célèbres pour rendre inaccessibles des films, des livres ou des expositions présentant des personn es transgenres.
Cette hostilité dans de nombreux domaines de la vie sociale pousse les personnes transgenres vers de graves problèmes de santé mentale. En Europe, environ un quart d'entre elles ont déjà eu des pensées suicidaires, tandis que certains professionnels de la santé sont réticents à les recevoir, déplore l'ECRI.