Une IA multimodale prédit la réponse à la chimiothérapie néoadjuvante

Une étude menée par une équipe interdisciplinaire américaine jette les bases d’un tournant dans la prise en charge du cancer de la vessie infiltrant le muscle. En associant l’intelligence artificielle à des données histologiques et moléculaires, les chercheurs proposent un outil prédictif de la réponse thérapeutique, ouvrant la voie à une individualisation du traitement.
Chaque année, près de 81 000 nouveaux cas de cancer de la vessie sont diagnostiqués aux États-Unis. Parmi eux, le carcinome urothélial infiltrant le muscle (MIBC) représente une forme agressive, dont le traitement standard repose sur une chimiothérapie néoadjuvante (NAC) suivie d’une cystectomie radicale. Or, cette stratégie n’est efficace que chez environ un tiers des patients, au prix d’une morbidité chirurgicale élevée et d’effets secondaires importants. Pouvoir prédire, avant traitement, quels patients en bénéficieront réellement constitue donc un enjeu majeur de santé publique et clinique.
L’équipe dirigée par Zilong Bai et Fei Wang, affiliée à Weill Cornell Medicine et soutenue par le National Cancer Institute, a développé un modèle d’intelligence artificielle appelé Graph-based Multimodal Late Fusion (GMLF). Ce modèle combine l’analyse d’images histologiques de lames colorées à l’hématoxyline-éosine (H&E) avec des profils d’expression génique issus de biopsies tumorales. Ces données proviennent de l’essai clinique prospectif SWOG S1314 (NCT02177695), incluant 237 patients atteints de MIBC.
À partir de 182 lames numériques en gigapixels et des données d’expression de 1 071 gènes de 180 patients, les chercheurs ont entraîné leur modèle à distinguer les patients ayant obtenu une réponse pathologique complète à la NAC de ceux n’ayant présenté qu’une réponse partielle ou nulle. En intégrant les modalités d’imagerie et de génomique, GMLF a atteint une aire sous la courbe ROC (AUC) de 0,74 en validation croisée, surpassant nettement les modèles unimodaux (histologie seule ou génomique seule).
Le cœur de l’innovation réside dans la capacité de GMLF à capturer les caractéristiques spatiales de l’histologie tumorale via une architecture de réseau de neurones graphiques (SlideGraph+), tout en pondérant ces informations avec les signatures transcriptomiques par un perceptron multicouche. Grâce à l’utilisation d’outils explicatifs tels que SHAP (Shapley Additive Explanations), les auteurs ont pu identifier les éléments les plus contributifs au succès prédictif du modèle. Parmi les gènes les plus informatifs figurent TP63, CCL5 et DCN, tous déjà connus pour leur implication dans la progression tumorale et la résistance aux traitements cytotoxiques. L’analyse histologique a par ailleurs révélé que les régions prédictives d’une bonne réponse présentaient une densité accrue en cellules cancéreuses et conjonctives, une moindre nécrose et un ratio tumeur/stroma élevé — un biomarqueur déjà suggéré dans des études antérieures, mais ici détecté de manière autonome par le modèle. Ces résultats soulignent l’intérêt d’une approche capable de reconstituer la complexité tumorale sans recourir à des annotations humaines lourdes.
Un autre apport de l’étude est la quantification de l’hétérogénéité intratumorale (ITH) via deux méthodes (indice de Shannon et diversité morphologique), dont les résultats suggèrent que, bien que l’ITH n’affecte pas directement la réponse à la NAC, elle influence les performances du modèle dans les sous-groupes de faible hétérogénéité.
Les auteurs reconnaissent toutefois certaines limites : l’absence de validation externe sur un autre jeu de données, la nécessité d’explorations fonctionnelles complémentaires des gènes identifiés, ainsi que la possibilité d’intégrer des modalités supplémentaires telles que la transcriptomique spatiale ou l’ADN tumoral circulant.

  • Paru dans npj Digital Medicine le 22 mars 2025

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