Auto-tests: les biologistes cliniciens réagissent à l'avis de l'Ordre des Médecins (lettre ouverte)

 La vente d'auto-tests en pharmacie continue de susciter la controverse. Suite à l'avis rendu par le Conseil National de l'Ordre des Médecins le 8 avril dernier, l'Association professionnelle belge des médecins spécialistes en biopathologie médicale (UPBMSBM) a adressé une lettre ouverte à l'Ordre ce 24 avril. Les biologistes cliniciens déplorent ne pas avoir été préalablement consultés et s'inquiètent de l'impact de auto-tests sur les utilisateurs. En outre, ils relèvent le développement possible d'une médecine préventive à deux vitesses  et s'interrogent sur la validité des résultats des autotests. 

Monsieur le Président,

L’avis rendu par le Conseil National de l’Ordre des Médecins sur la question de la vente d'autotests en pharmacie pour le dépistage ou le suivi à domicile de certains problèmes de santé, le 8 avril dernier, a retenu l’attention de l’Union professionnelle des médecins spécialistes en biopathologie.

Sur le plan des principes, nous regrettons vivement que préalablement à l’élaboration de cet avis, l’Ordre des médecins n’ait pas jugé utile de consulter la spécialité médicale concernée au premier chef par cette problématique, c. à d. les médecins biologistes cliniciens, et envisage, dans sa conclusion, de se concerter seulement avec les organisations de patients et l'Ordre des Pharmaciens. N’est-il pas évident que les pharmaciens sont à la fois juges et parties sur le sujet, par le profit qu’ils retirent de la vente en exclusivité de ces tests médicaux?

Sur le fond, notre union ne tient pas à défendre une position corporatiste rétrograde qui vise à rejeter toute mise sur le marché d’autotests à portée diagnostique. Nous sommes bien placés pour évaluer, par exemple, la plus-value des tests de suivi glycémique à domicile chez les patients diabétiques. Mais ces tests sont mis dans les mains de patients qui ont été formés à réaliser correctement les dosages chez eux et à réagir de manière adéquate au résultat obtenu. Le type de tests et la fréquence des dosages leur sont clairement précisés. Il en est tout autre des autotests mis à la disposition de la population générale. Quel test pourrait être utile à telle personne ? A quelle fréquence un test devrait-il être utilement répété ? Quelle attitude devrait adopter l’utilisateur face à un résultat anormal ? A ces questions, vous semblez répondre que tel est le rôle du pharmacien. Mais celui-ci ne peut pas savoir de quel autotest pourrait bénéficier le client qu’il a en face de lui. Il n’est pas non plus médicalement formé pour répondre aux interrogations légitimes de l’utilisateur potentiel de ces tests. Par contre, plus il en vendra, plus il s’y retrouvera !

La prévention est le parent pauvre de la médecine essentiellement curative en Belgique ; l’usage d’autotests pourrait contribuer à la développer. Mais elle doit être encadrée et si possible, offerte à tous. Car quand vous jugez que les autotests sont garants des principes d’autonomie et de justice, vous oubliez que bon nombre de nos concitoyens n’ont pas les moyens d’investir dans ces autotests. L’ « autoprévention » (et le très laid anglicisme « selfempowerment ») à deux vitesses s’installe donc à la porte des pharmacies. Or le lien entre morbidité et niveau social des individus est bien reconnu ; cela relativise d’autant la contribution des autotests à la prévention. Et la confidentialité, vous l’affirmez garantie : nous pensons au contraire que, classiquement limitée à la relation singulière « patient-médecin », l’usage des autotests risque d’élargir inutilement la confidentialité à un troisième acteur, le pharmacien, perçu comme le vendeur et donc interpellé prioritairement par l’acheteur en cas de problème.

Quant à la qualité des produits, validée selon vous par le fait qu’ils sont vendus exclusivement en pharmacie, nous n’en sommes pas aussi convaincus, même labélisés CE. Nous estimons que ces tests devraient faire l’objet d’une attention particulière quant à la validité des résultats qu’ils proposent. Mais en pratique, qui pourrait en attester ? Pas le pharmacien qui, s’il est mis au courant du résultat par son client, a peu de chance d’être informé a posteriori que le test a été pris en défaut. Pas le médecin traitant qui a peu de chance de cumuler dans sa patientèle un nombre statistiquement suffisant de résultats d’autotests invalidés pour s’en émouvoir. Et enfin pas le laboratoire qui a peu de chance d’être informé par le généraliste qu’une analyse est demandée en confirmation d’un autotest positif. La traçabilité de la qualité des résultats des autotests est donc plus qu’aléatoire. Et quand on analyse le trajet du « sujet », devenu « patient » sous le coup d’un résultat d’autotest pathologique, on peut à juste titre craindre un accroissement des dépenses de sécurité sociale, le plus souvent non justifié puisqu’il touchera une population plus aisée, à moindre morbidité.

Pouvons-nous espérer vous avoir convaincus de ne plus exclure les médecins spécialistes en biologie clinique dans votre réflexion sur de futures recommandations que vous souhaiteriez émettre dans l’utilisation et le développement d’autotests à visée médicale?

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments les meilleurs. 

Dr Henk Louagie (Secrétaire) - Dr Michel Lievens (Président)

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