Fatigue, stress, burnout... les candidats spécialistes malades de leurs conditions de travail (Enquête)

Le comité interuniversitaire des médecins assistants candidats spécialistes (CIMACS) a voulu évaluer les conditions de travail et leurs répercussions sur les jeunes médecins en formation de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle vient de finaliser une grande enquête à laquelle 1.159 candidats spécialistes ont répondu. Le Spécialiste vous en révèle en exclusivité les premiers résultats.

Les résultats de l’enquête sont effrayants. Un chiffre suffit: Près de 63% des jeunes médecins interrogés déclarent avoir déjà pris conscience lors d'un stage de ne plus être en état de poser un diagnostic, un acte et d'être un danger pour le patient. «C’est énorme et inquiétant. Cela peut avoir évidemment des répercussions sur leur façon de soigner et sur les risques pour le patient», reconnaît Jérôme Lechien, président du CIMACS. Ils sont même 25% à estimer que leur rythme de travail a un impact sur leur consommation de produits addictogènes, en l’occurrence alcool, tabac, herbe, cocaïne, psychotropes, antidouleurs ou autres produits. «La consommation de psychotropes, principalement des médicaments pour dormir, a triplé chez les jeunes médecins une fois que ceux-ci ont débuté leur formation.»

Souffrance psychique ou physique
L’enquête est implacable au niveau des conditions de travail et de leur impact sur la santé des médecins: «Lorsqu’on focalise nos statistiques sur les médecins situés entre la deuxième et la dernière année de formation, 45,25% des jeunes médecins estiment avoir déjà été en souffrance psychique ou physique (trouble cardiaque, immunitaire, fausse couche...) à cause de leur travail dans le cadre de leur assistanat», explique Jérôme Lechien.
Parmi les souffrances psychiques, les principales causes sont les suivantes: difficultés professionnelles au travail engendrant des souffrances psychiques, isolement social, impact du travail sur la vie conjugale.

Pas refaire la médecine
A la question «Et si c’était à refaire?», 36% des MACS estiment qu’ils ne referaient pas la médecine. «C’est très grave. On fait le plus beau métier du monde, parfois de la plus laide des façons. Les médecins devraient être davantage considérés, surtout au début de leur formation car nous ne rechignons pas à travailler. Nous réclamont juste des conditions de travail plus acceptables.»

Impact sur la qualité des soins
De tels chiffres ont un impact sur les soins de santé: 62,78% des jeunes médecins estiment avoir déjà eu conscience pendant un stage de ne plus être en état de poser un diagnostic et d’être un danger pour le patient. «Les jeunes médecins sont donc conscients du problème. Il faut leur permettre de mieux soigner les patients.»

Trop de tâches administratives
61% des jeunes médecins avouent qu’ils ont trop de tâches administratives et 76% des jeunes médecins affirment qu’ils ne disposent pas du temps nécessaire pour s’investir dans les 4h de travail scientifique. «On diminue le nombre de secrétaires vu les restrictions budgétaires mais il y a toujours plus de papiers à remplir pour divers organismes. Dans certains cas, on peut passer 2 à 3 h pour des papiers de patients. Pendant ce temps, nous ne pouvons pas nous occuper d’autres patients. 
Ce problème est généralisé à tous les médecins. Cela a aussi des répercussions sur notre investissement dans notre travail scientifique. C’est d’autant plus absurde que si l’on pouvait passer plus de temps avec les patients, cela permettrait d’améliorer notre formation et de réduire les files d’attente.»

Accouchement prématuré
Au fil de l’étude, les assistantes et les assitants évoquent les mêmes difficultés quotidiennes. Toutefois, un chiffre les différencie: «Parmi les 80 jeunes médecins qui ont été ou sont enceintes, 26,23% révèlent avoir eu une menace d’accouchement prématuré qu’elles (ou leur gynécologue) attribuent à leurs conditions de travail», révèle l’enquête. Pire, parmi les jeunes médecins enceintes, 34,43% reconnaissent que leur grossesse a eu un impact négatif sur leur relation avec leur supérieur hiérarchique.

Lire aussi:

Un memorandum pour faire respecter les droits des candidats spécialistes 

Conditions de stage: «Nous sommes esclaves d’un système qui prône la rentabilité avant l’humain»

Un reportage de Questions à la Une (RTBF) a été consacré à ce thème. "Jeunes médecins exploités, patients en danger?" le mercredi 21 mars à 20h20 sur la Une.

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Derniers commentaires

  • Harry DORCHY

    23 mars 2019

    J’ai oublié une « anecdote » significative de la méconnaissance, dans les années 1980, du réel travail des médecins par les « responsables » administratifs qui eux travaillaient au maximum 40h/semaine (alors que le statut des médecins stipulait qu’ils devaient travailler MINIMUM 44h/semaine), avec des traitements équivalents, dans la fonction publique, à ceux des médecins haut gradés, en fonction d’une échelle barémique identique dans la fonction publique. Certains de ces administratifs, dans les hôpitaux universitaires du CPAS Saint-Pierre & Brugmann, considéraient que les médecins étaient des paresseux et ils instaurèrent un système coûteux de pointage (pas pour les administratifs…). Lorsque les médecins lurent sur la pointeuse qu’ils avaient travaillé 50, 60, 70, 80, voire plus d’heures par semaines, ils diminuèrent leurs prestations vers les 44h statutaires… Ces hôpitaux ne pouvaient plus fonctionner et les coûteuses pointeuses furent supprimées…

  • Harry DORCHY

    22 mars 2019

    Les candidats spécialistes malades de leurs conditions de travail. Le Spécialiste 22/3/19
    Tout à fait d’accord avec les revendications actuelles, mais c’est oublier que c’était bien pire dans les années 1970, ce qui n’est pas une raison, bien sûr, pour revenir en arrière. Voici ce qui se passait à l’hôpital universitaire Saint-Pierre (ULB) à Bruxelles lorsque j’ai entamé la spécialisation en pédiatrie en 1969 :
    - Pas de rémunération en 1ère année de spécialisation. Personnellement je participais à un rôle de gardes appelables nocturnes comme médecin généraliste, payé à la prestation. Le matin je retournais travailler en pédiatrie, même si je n’avais pas dormi.
    - Pas de récupération de garde le lendemain ni un autre jour.
    - Rémunération symbolique : quelques centimes d’euro à l’heure.
    - Le nombre de gardes était tel que pour bénéficier de temps en temps d’un week-end (sauf le samedi matin car on devait réellement alors travailler puisque nous étions 11/11è, ce qui n’est plus obligatoire actuellement, heureusement), nous choisissions (sic) d’être de garde le samedi et le dimanche et le lundi était une journée complète de travail.
    - Aucun enseignement théorique dans la spécialité ; on apprend « sur le tas » lors des gardes par l’expérience des « seniors de garde ».
    - Certain chef de service était remarquable scientifiquement et humainement (Prof H. Loeb), mais un autre était odieux et méprisant, et on ne pouvait pas réagir. C’était le temps du mandarinat. On pouvait bien tomber ou non.
    - Le travail « scientifique », indispensable si on voulait continuer une carrière universitaire, devait se faire en dehors des 11/11è. Maintenant on nomme dans l’hôpital dit universitaire des CCA, des CC, voire des CS qui ne sont pas nommés par l’Université faite de CV suffisant…
    - Point positif à cette époque: quelque soit la spécialité, le traitement était le même pour tous les médecins à ancienneté et à grade égal. Actuellement, c’est la loi du marché et les rémunérations sont secrètes… Individualisme et struggle for life.

  • Nicolas PELGRIMS DE BIGARD

    22 mars 2019

    Il serait faux de penser que le malaise ne concerne que les jeunes médecins !
    Les autres médecins hospitaliers exerçant des spécialités à forte responsabilité ne sont pas mieux lotis... Le malaise est général et grave. Jamais la pression sur les soignants n’a été aussi forte et il y a de quoi être extrêmement pessimiste...
    Le médico-légal s’invite en plus à la table avec ce qui ressemble de plus en plus à une obligation de résultat... la barque est maintenant pleine...

  • Charles KARIGER

    21 mars 2019

    Au début des années 1970, dans un hôpital de stage bruxellois (dit alors "hôpital de faubourg", Ixelles, Saint-Gilles, Anderlecht, Etterbeek, ou Schaerbeek), un MI-TEMPS signifiait +- 65 heures par semaine dont une garde de 24 heures par semaine et une garde de WE (48 ou 72 heures) par mois. Sans "récup". En sortant de garde à 8 h 30, on se dirigeait vers sa salle ou sa consultation pour y reprendre le travail "normal". Pendant un an ou deux, seules les gardes étaient rémunérées et très chichement.
    L'autre "mi-temps" devait suffire à développer une patientèle personnelle (au moins "alimentaire"), à étudier et à bien vivre (au moins pour la majorité d'entre nous).
    Il me semble que, depuis cette époque, l'évolution a été favorable.
    PS Chaque lundi, une copieuse liasse de documents de toutes sortes nous attendait et, déjà, nous occupait pendant deux ou trois heures... Nihil novi sub Sole.