Les 4 raisons de l’échec de la vaccination dans les hôpitaux bruxellois

Aujourd’hui, sur le terrain, les retards de vaccination provoquent d’importantes tensions dans les hôpitaux.Le manque actuel de vaccins crispe les médecins et les responsables d’hôpitaux. Des jalousies apparaissent.Comme nous l’évoquions déjà la semaine passée, le personnel soignant ne comprend pas pourquoi tel ou tel hôpital a reçu plus de doses qu’un autre. 

 1. Pas assez de vaccins
Cette situation est expliquée par ce responsable de vaccination d’un hôpital bruxellois qui a tenu à rester anonyme: «C’est le chaos. Certains médecins ont le sentiment que des hôpitaux sont plus favorisés que d’autres. Dans certains hôpitaux, des étudiants en médecine ont déjà été vaccinés. Ce n’est pas normal. On a eu le même sentiment pour les maisons de repos où certaines avaient terminé la vaccination avant les autres. Il y a différentes stratégies dans les hôpitaux. Les groupes prioritaires ne sont pas les mêmes d’un hôpital à l’autre. En plus, la Cocom à Bruxelles ou la Région Wallonne n’a pas reçu assez de vaccins. Tout le problème vient de là.» 
Un expert fédéral de la vaccination nous confirme cette situation: «Les Régions délivrent les vaccins dans les hôpitaux. Ces derniers doivent remplir un formulaire avec leur besoin. Évidemment, le problème actuel est très simple. Un directeur d’hôpital demande 2000 ou 4000 vaccins pour son hôpital et il en reçoit 200 ou 400 suivant les stocks. Ce n’est donc pas la faute des Régions. On est devant une gestion au jour le jour, de la semaine à la semaine. C’est un contexte international. Il n’y a pas des bonnes solutions.»
2.  Les couacs de la Cocom
A Bruxelles, de nombreux médecins, des directeurs d’institutions pointent du doigt la gestion de la Cocom. Inge Neven, responsable du service de l’inspection d’hygiène de la Commission communautaire commune (COCOM) reconnaît la complexité de la situation: «On a donné les vaccins selon les clés de répartitions et chaque Hub devait redistribuer les vaccins.» 

Sur le terrain, pourtant, on s’étonne d’une grande différence entre les hôpitaux, ce qui provoque la colère des médecins? «Il y a eu plusieurs couacs: Quand un Hub gère plusieurs hôpitaux, certains hôpitaux ont vacciné plus que d’autres avec des répartitions pas complètement équitables.»

Ce n’est pas tout, elle ajoute: «On a aussi eu les hôpitaux avec le vaccin Moderna (Saint-Jean et Iris Sud) qui ont reçu un peu plus de doses que les autres. Cette situation, on essaie de la rectifier dans les 15 jours. Enfin, un hôpital bruxellois a utilisé la première et la deuxième dose pour vacciner plus de monde. Ce n’est pas normal.»

Toutes ces situations amènent donc des tensions au sein du personnel. «On doit aussi gérer d’autres différences entre les hôpitaux bruxellois. Des hôpitaux comme Erasme dépendant de la FWB, fédération Wallonie-Bruxelles, et pas de la Cocom. Ils ont d’autres règles et d’autres sources d’approvisionnement. Ils ont vacciné plus vite que d’autres hôpitaux bruxellois.»

Face à cet imbroglio, on peut se demander quand l’ensemble du personnel des hôpitaux bruxellois, il sera vacciné? «On espère fin du mois de février pour le personnel le plus à risque. Ce ne sera donc pas l’ensemble du personnel de tous les hôpitaux. Cela va s’accélérer aussi parce que le vaccin Astrazeneca arrivera la semaine prochaine.» ajoute Inge Neven.

3. Le choix de certains hôpitaux
Aujourd’hui, des hôpitaux n’atteignent pas encore les 20% de personnels vaccinés. Un observateur qui tient à rester discret nous explique pourquoi: «Certains hôpitaux bruxellois sont victimes de leur stratégie. Ils ont décidé de ne pas vacciner quand ils ne recevaient que 100 doses pour ne pas provoquer des frustrations dans leur hôpital. Ils préféraient vacciner l’ensemble de leur personnel en 10 jours une fois qu’ils auraient suffisamment de doses. Cela leur évitait des discussions houleuses avec leurs membres du personnel. Toutefois, ils n’ont pu s’y tenir parce que les vaccins ne sont pas arrivés en nombre suffisant.... Et maintenant, ils sont en retard.»

4. La pression du politique
Contactés par nos soins, plusieurs responsables du secteur hospitalier sont fâchés: «Plus personne ne croit que nous aurons toutes les doses de vaccins dans 15 jours. Les autorités politiques sont dans une forme de cynisme: ils ne cherchent plus à gagner la bataille de la vaccination, mais la bataille de la communication. Cette volonté de surcommuniquer a provoqué la zizanie dans les hôpitaux. En plus, les autorités nous mettent la pression pour commencer la vaccination alors qu’on n’a pas des vaccins pour tout le monde.» 

Cette situation provoque des tensions comme le montre ce courrier interne d’un hôpital bruxellois que nous avons reçu: «La campagne de vaccination en Région bruxelloise prend beaucoup de retard. Que devons-nous faire? Quelle serait la stratégie: ne pas accepter de patients COVID pendant quelques semaines pour cause d'insuffisance de vaccination du personnel?» 

Quelles solutions? Le pragmatisme  comme à Saint-Jean
Face à ce chaos, Hadewig-Vic De Corte, CEO de la Clinique Saint-Jean se veut pragmatique: «Je comprends que le personnel d’un hôpital, qui vaccine depuis plusieurs semaines dans les maisons de repos, soit déçu de ne pas encore être vacciné. C’est une situation très inconfortable pour les directeurs et les médecins des hôpitaux.» 
Elle rappelle qu’on est dans un contexte mondial où le flux d’approvisionnement n’est pas encore rodé. «Je suis très pragmatique: dès que l’on nous donne des vaccins, je veux vacciner au plus vite. On sait que l’on a un problème de livraison des vaccins. Ce n’est pas la faute de la Cocom ou de l’industrie pharmaceutique. C’est un phénomène tout à fait logique.» 
Hadewig-Vic De Corte a un message clair à tous les hôpitaux: «Cela ne sert à rien d’être frustré. On ne maîtrise pas la chaîne de vaccination actuellement. Nous, on a reçu des vaccins Moderna. On a demandé à notre personnel s'il voulait être vacciné. On avait plus de 70% du personnel qui voulait être vacciné et 20% qui hésite encore. Enfin, on a juste une petite dizaine de personnes qui ne veut pas. On va donc encore sensibiliser plus notre personnel.» 
Actuellement, elle peut poursuivre la vaccination: «D’ici fin de la semaine, on aura vacciné 1200 personnes sur un peu moins de 2000 personnes. Evidemment, on voudrait vacciner plus de personnes. A noter, que nous gardons la seconde dose tant que l’on n’est pas certain d’avoir plus de livraisons.  On attend évidemment avec impatience les vaccins....mais actuellement, on doit être patient et pragmatique.» 
Dès la semaine prochaine, elle pourra aussi compter sur le vaccin Astrazeneca.

Quelques chiffres du terrain
Et sur le terrain, où en est-on? Aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles, 24% du personnel de première ligne a été vacciné (principalement les soins intensifs, le service de gériatrie, les urgences...) avec le vaccin de Pfizer. "La campagne de vaccination est suspendue depuis le 1er février. A ce stade, le personnel administratif de l’hôpital n’a évidemment pas encore été vacciné. Par ailleurs,  les deuxièmes doses du vaccin sont assurées pour le personnel qui a déjà reçu la première." 

Dans les hôpitaux Iris sud, ils ont actuellement «1500 membres du personnel vaccinés avec la première dose du Moderna.»

A l'UZ Brussel, trois semaines après le début de leur campagne de vaccination, seuls 2% du personnel de l'UZ Brussel ont été vaccinés. "Nous sommes inondés de questions et le personnel est frustré. Nous voyons de plus en plus de personnes en soins primaires se faire vacciner, alors que le gouvernement avait indiqué que les hôpitaux étaient  prioritaires", a déclaré Karolien De Prez, porte-parole de l'UZ Brussel. ."Cette semaine, nous n'avons administré aucune première dose. En principe, nous devrions recevoir à nouveau un grand nombre de vaccins la semaine prochaine pour un premier tour, mais nous attendons toujours la décision finale".

Enfin, du côté des hôpitaux Erasme, les doses arrivent «en tant qu’hôpital HUB pour un grand nombre de maisons de repos dont nous avons la charge et pour nous. Les maisons de repos ont toujours reçu à heure et à temps les vaccins nécessaires. Nous utilisons le reste pour notre personnel. Nous avons proposé le vaccin aux différents groupes de personnel dans l’ordre de priorité demandé en fonction du matériel reçu. Nous estimons que nous aurons couvert un peu plus de 40% des personnes identifiées au départ en fin de semaine.»

Lire aussi:

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Derniers commentaires

  • François De Saedeleer

    12 février 2021

    Et quand on se rends compte que dans chaque fiole de vaccin reconstitué il y a de quoi vacciner plus de personnes que prévu (min 7 plutôt que 5 soit + 40%), on peut facilement imaginer qu'avec un peu d'inventivité on pourrait gaspiller moins de ce précieux produit. Re-gâchis (et ce n'est de loin pas le seul que l'on aurait pu éviter assez aisément : "curieux" qu'on entende pas les écologistes à ce sujet du gâchis formidable actuel).
    Comment ?
    Le défit est de réduire le volume mort, estimé à 0.15 ml par dose officielle (2.25 - 0.3x5)/5 soit 0.75 ml/5.
    On voit donc que les volumes morts estimés sont équivalents à plus de deux doses.
    Une façon simple est d'utiliser un dispositif (au pire, on le construit..) "multidose" où l'on ne change que les aiguilles et pas les seringues (ce qui réduit nécessairement le volume mort, reste à estimer en pratique dans quelles proportions).
    Par exemple, un stylo à injection d'insuline, qui est évidemment construit de façon à éviter les pertes entre deux injections (pertes = volumes morts). En temps de guerre (y est-on ou pas ?), on ne changerait pas l'aiguille mais c'est actuellement inimaginable dans notre société : reste à voir quel serait le volume mort en changeant d'aiguille à insuline sur un stylo (mécanisme faisant office d'anti-retour intéressant à ce sujet) mais gageons qu'il serait vraiment beaucoup plus faible (volume d'une aiguille à insuline = soit 0.25 mm de diamètre => 0.125² x 3.14 x longueur soit pour 2 cm (?) cela donne env 9 mm³ (9µl), soit 0,009 ml (seulement pour l'aiguille, en réalité ce sera plus mais de combien : seule la mesure nous le dira mais de la marge, il y a ..).
    Ensuite, on demande à la pharmacie, sous flux stérile, de remplir et recharger les stylos. Les aiguilles se vendent par boîtes de 100..
    Autre astuces : diluer le vaccin diminue d'autant la proportion de substance active dans ce volume mort (reste à estimer les possibilités de ce côté, éviter le PEG qui est 'immunogène', etc ..). Cela implique d'injecter aussi plus de volume (là aussi on a sans doute de la marge et .. un volume plus important ne garantirait-il pas une meilleure diffusion ?).
    Notons qu'il faudra penser à changer de site d'injection pour arriver en tissus musculaire si les aiguilles sont plus courtes (changer de site est sans doute de toutes façons souhaitable : voir plus bas). Il existe d'ailleurs des aiguilles plus longues pour les patientes.
    Notons aussi que l''usage d'un dispositif de type stylo d'injection permettra d'injecter des doses plus précises : il serait utile d'estimer en réalité par la technique 'normale' quel volume est réellement injecté (on pourrait avoir des surprises liées aux manipulations en pratique) et réellement où (là aussi l'épaisseur du panicule adipeux pourrait donner lieu à des surprises !).
    Donc, en réalité, l'utilisation d'un dispositif plus sûr (cfr gestion des doses d'insuline ..) et un autre site d'injection pourrait en fait mener à une vaccination effectivement plus efficace et dont on pourrait finalement repenser le volume nécessaire, sans compter que la deuxième dose (et même la première) pourrait peut-être être réduite chez les personnes chez lesquelles on aurait pu deviner à l'avance une forte réactivité -inventer encore un 'score' clinique- (il semble intuitivement évident que si certaines personnes réagissent 'fortement' -fièvre & co- injecter moins de produit actif serait sans doute préférable en ce qui concerne la tolérance, sans nécessairement une perte d'efficacité à la clef, voire avec plutôt une diminution des effets secondaires à long terme, encore à découvrir, eux .. ).
    Rappelons que la firme a vendu des flacons de 5 doses, ce n'est donc pas elle qui a même imaginé en extraire plus et il n'y a donc pas de raison pour en modifier le prix, que du contraire même si l'on réfléchis bien (olé !). Pire, elle aurait du y penser elle-même (y compris à inventer le dispositif ad hoc, ce qui est tout à fait réaliste.. et lui aurait permis de combler en partie ses manquements).
    Rappelons aussi qu'il serait fort utile de s'occuper de l'immunité de la population (par exemple en arrêtant de prétendre que la vitamine D ne sert à rien "dans la covid", par exemple, ce qui est ce que l'on va retenir des messages de la soi-disant 'EBM'..) : Rappelons toujours et encore qu'il existe non seulement des interventions utiles et efficaces mais aussi des bilans biologiques pour l'estimer (un score prenant en compte l'âge et quelques données cliniques devrait déjà beaucoup aider).
    ps : évidemment, la firme aura beau jeu de prétendre que l'on a pas respecté les consignes en cas de problème inattendu (restera à prouver quelque chose et là bonne chance !) mais là aussi il faut évaluer les avantages par rapport aux risques (on en reparlera certainement un jour en ce qui concerne la "vaccination pour tous" !). Essayons donc de garder la tête froide.
    Suggestions déjà arrivées aux personnes concernées depuis .. le temps de vacciner une quantité non négligeable de personne en plus. Idem en ce qui concerne le problème -sérieux- du paracétamol dans ce contexte. Olé !
    Dr F. De Saedeleer

  • Yves Van Crombrugge

    12 février 2021

    Je suis révolté en prenant connaissance du contenu de cet article .
    Qui est responsable de ce gâchis? Qui tire profit de ce gâchis Il m'est impossible de répondre à ces questions , comme à toutes celles en rapport avec cette pandémie qui ne me semble pas encore avoir révélé toutes les facettes avouables et/ou pas de cette peste des temps modernes
    Comment nos hommes politiques , nos scientifiques , nos journalistes se sentent ils armés pour assumer leurs responsabilités face à cette pandémie ?
    Qui vivra verra .....

  • Bruno LULLING

    12 février 2021

    Je suis bien d'accord avec vous , Confrère ! Dr Lulling

  • Jean-Jacques HOUBEN

    11 février 2021

    Cher tous,
    Je suis très surpris que la question du type de vaccination ne soit pas abordé, voire éludé.
    Si nous sommes confrontés à une méconnaissance inédite sur les effets, la réponse immunologique à long terme, les conséquences sur la transmission et encore pour l'instant sur l'impact économique de la vaccination, nous sommes surtout incapables d'affirmer que seule la vaccination ARN est valide. Ne trouvez pas légitime que les professionnels de santé puisse choisir le type de vaccination. Je ne plaide pas pour une interruption des procédures en cours. Je défends ceux , dont je fais partie, qui souhaitent au plus vite une vaccination protéique conventionnelle.