Mésusage d’alcool :  « Je suis convaincu du rôle moteur des généralistes » (Dr T. Orban)

Le Dr Thomas Orban prône un changement de cap en matière d’accompagnement du mésusage d’alcool: « Il s’agit de la prise en charge d’une maladie chronique potentiellement mortelle. Il ne faut pas attendre que les personnes en soient au stade terminal pour les aider à s’en sortir. »

L’addiction à l’alcool est l’un des problèmes de santé mentale les plus répandus aujourd’hui et elle reviendra dans l’actualité avec l’opération de sensibilisation de la Tournée Minérale du mois de février. Dans « Alcool : ce qu’on ne vous a jamais dit » (éditions Mardaga), le docteur Thomas Orban, généraliste et alcoologue, et Vincent Liévin, journaliste, proposent une vision neuve et inédite des problèmes d’alcool. Ils invitent chacun à une prise de conscience de sa propre consommation et exposent les risques qui y sont liés. Ce livre repose sur 200 études scientifiques.

Le Dr Orban rappelle que sa consultation en alcoologie « a pour but premier de dresser le bilan d’un trouble de la consommation d’alcool. » Les situations présentées sont variées : usage à risque, usage nocif, usage avec dépendance (légère, modérée ou sévère). Au terme du bilan, une prise en charge adaptée et personnalisée est proposée. 

Mais pourquoi n’arrive-t-on pas aujourd’hui à prendre en charge correctement le mésusage d’alcool? «  Je prône un changement de cap en matière d’accompagnement du mésusage d’alcool: il s’agit de la prise en charge d’une maladie chronique potentiellement mortelle. Il ne faut pas attendre que les personnes en soient au stade terminal pour les aider à s’en sortir. Certaines personnes qui ne boivent que le soir sont dépendantes à l’alcool, mais pas «alcooliques »… Le terme «alcoolique» est une stigmatisation, une accusation, même! »

Mieux former les médecins

L’urgence est de sortir la consommation d’alcool de la zone grise, celle où l’on peine à poser un diagnostic, celle où se situent (et où se cachent donc) beaucoup de dépendants. « Aujourd’hui, le médecin n’évoque pas ou que très peu la question de la consommation d’alcool avec ses patients, probablement parce qu’il ne saura que faire avec la réponse. Pour savoir écouter les problèmes et chercher des solutions, il faut avoir des connaissances dans ce domaine. Pour lutter contre ces lacunes, nous avons initié en 2016, avec des collègues généralistes et universitaires, le certificat interuniversitaire en alcoologie, le premier du genre en Belgique. » 

L’Etat ne fait rien

Pour lui, la schizophrénie, la dépression, la bipolarité sont loin devant en termes de diagnostic et de traitement. « Il est grand temps de quitter la vision moraliste. Les structures ne reçoivent pas assez d’argent pour prévenir, accompagner et lutter contre les problèmes d’alcool. Il n’y a pas eu suffisamment d’investissement dans notre système de soins de santé pour qu’il soit à la hauteur des problèmes d’alcool dans notre pays. Les patients dépendants se sentent souvent abandonnés. » 

Le généraliste au centre 

Le Dr Orban rappelle que « le généraliste est la personne qui a la vue la plus holistique du patient, la plus globale. Il est à l’intersection de toutes les disciplines, entre la neurologie, la psychologie, la dermatologie, la cancérologie, il fait de tout. Le généraliste doit se sentir légitime. On a vu au cours de la crise de la Covid à quel point le généraliste est un couteau suisse: il a été indispensable pour toute une série de fonctions importantes et surtout, il a été celui que la population consultait sans cesse pour tenter d’y voir clair. » 

Enfin, avant d’améliorer la prise en charge, le médecin doit pouvoir travailler en équipe avec d’autres acteurs de soins. 

Ecoute et dépistage

Pour lui, le moment est venu de mieux adapter la relation du médecin à son patient face à une telle problématique. « Ce qui me choque, ce sont des phrases de médecins comme: «Vous viendrez me voir quand vous aurez arrêté de boire». No comment… Ou «Si vous avez bu, je ne veux pas vous voir en consultation». Un patient alcoolodépendant viendra parfois en ayant bu, parce qu’il est incapable de faire autrement et il en souffre! 

Aujourd’hui, seuls 15 % des personnes alcoolodépendantes sont diagnostiquées et, parmi celles-ci, seule une sur deux est traitée.  La prise en charge peut donc évoluer : «  Il est par exemple fondamental de réaliser un dépistage systématique par élastométrie des maladies alcooliques du foie (fibrose, cirrhose). » Toutes les semaines, dans sa pratique, le Dr Orban pose des diagnostics de fibrose hépatique. « 30  % des patients atteints de cirrhose ont une prise de sang normale. Ainsi, nous ne sommes pas tous égaux devant l’alcool et sa métabolisation par le foie. Les gènes pèsent lourd également dans la maladie de l’alcool, à hauteur de 60 %. Le facteur génétique doit être analysé.»  À quel moment est-il trop tard? « Est-il jamais trop tard? Certains de mes patients buvaient deux bouteilles de vin par jour et sont arrivés à contrôler leur consommation… Des études montrent que quand le choix du patient est respecté, les chances de succès augmentent. » 

Le livre entend provoquer une prise de conscience sociétale. «  Il faut oser poser la question d’un prix minimum par verre d’alcool standard, de la publicité pour l’alcool, de la place de l’alcool dans les magasins, du lobby de l’alcool qui sape toute prévention, de la présence d’alcool dans les stations-service, etc. Tout cela devrait figurer dans le plan «alcool » du gouvernement que l’on attend désespérément. »

ISBN : 9782804720643 Prix : 19,90 € Broché : 352 pages Sortie en librairie : 20 janvier 2022 Éditions Mardaga

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