Données patient: les tabous persistent du côté des médecins

La communauté Patient Numérique organisait récemment un séminaire, en collaboration avec le Pôle de Compétitivité wallon BioWin, sur le thème de l’'utilisation “intelligente” des données de santé. Il y fut beaucoup question de diversification et d’ouverture des données.

Les échanges entre les intervenants de cette conférence ont essentiellement porté sur l’accès et le partage des données, par et pour les professionnels de santé et les citoyens.

Pour appliquer les techniques d’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la recherche et de l’innovation médicales, il est nécessaire de disposer de grands volumes de données. Et ce, même si les techniques d’optimisation des small data sont une piste à exploiter plus largement.

Pour disposer de volumes suffisants, il faut élargir la perspective afin d’aller chercher les données là où elles sont. “Plus de 90% des données de santé ne sont pas dans les dossiers médicaux”, soulignait le Dr Giovanni Briganti, maître de conférences à l’ULB et à l’UMons et coordinateur du groupe de travail AI4Health d’AI4Belgium. “Elles sont générées dans le contexte journalier de chaque individu”. 

L’un des enjeux majeurs est donc d’y avoir accès, d’inciter les patients à les partager et mettre à disposition de projets de R&I. 

Plusieurs intervenants du séminaire ont ainsi mis l’accent sur l’importance du “don de données”. “Donner ses données, anonymisées, peut sauver des vies puisque cela permet une meilleure compréhension des maladies et des traitements. Le principe des données de santé devrait être celui des open data”, déclarait Benoît Macq, professeur à l’UCLouvain et copilote de la structure collaborative de R&I wallonne TrAIL (Trusted Artificial Intelligent Labs).

Condition sine qua non: garantir la sécurité des données, la transparence de ce qui en est fait, et aussi la confiance des citoyens. Mathieu Michel, secrétaire d’Etat à la digitalisation, indiquait à cet égard, que cela devait passer par de la sensibilisation mais aussi par l’établissement d’un cadre législatif clair et décomplexifié.

Les mentalités doivent changer, les tabous doivent tomber, soulignait pour sa part Vic De Corte, ancienne directrice générale de la Clinique Saint-Jean de Bruxelles: “Du côté des citoyens, il y a encore trop de craintes, de peurs, d’ignorance. Le rôle des autorités publiques est de définir un cadre tout en évitant d’imposer trop de règles. Il s’agit surtout d’éduquer.”
Les tabous persistent aussi du côté des professionnels: données bunkerisées, manque d’interopérabilité, perception d’insécurité du cloud, égos surdimensionnés, manque de pragmatisme. “Il ne faut pas penser out of the box mais réinventer la boîte…”

Médecine prédictive et médecine en réseau

Autre thème abordé par les intervenants du séminaire: la nécessité d’élargir la variété des données utilisées dans le cadre de projets de recherche et innovation.

Par exemple, l’exploitation des données de santé (génétiques, biologiques, médicales, comportementales, environnementales…) pourrait permettre des progrès sensibles en pathogenèse, à savoir le traçage des facteurs génétiques, sociodémographiques, environnementaux… qui induisent une maladie.

Cette multiplicité de données est l’un des leviers de la médecine dite “en réseau” (network medicine) qui se définit comme “l’application de la science des réseaux à l'identification, à la prévention et au traitement des maladies”. L’idée est d’identifier et de comprendre la nature et les implications des interactions au sein du continuum biologique, via l’analyse et l’exploitation de la topologie et de la dynamique des interconnexions entre événements et signaux. 

Autre dimension qui manque encore trop souvent dans l’exploitation, manuelle ou automatique, des données: la temporalité. Pierre Daye, fondateur de la start-up P3Lab, expliquait par exemple que “la prédiction doit s’appuyer sur la temporalité des interactions entre biomarqueurs. Identifier une tendance lente de l’évolution d’un biomarqueur ou, au contraire, une évolution brutale permet d’adapter une médication ou une posologie et d’observer l’effet de l’adaptation sur le biomarqueur concerné…”.

Lire aussi: 

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