La saga des numéros Inami décryptée par le GBS

Jean-Luc Demeere, président du Groupement belge des spécialistes (GBS), retrace dans une tribune libre publiée dans Le Spécialiste la saga du contingentement en Communauté française. «En Fédération Wallonie Bruxelles, on morcelle les compétences et on se moque des lois fédérales, des étudiants en médecine, des parents, et des patients», résume l’anesthésiste.

Le Conseil d’Etat  a suspendu le classement du concours en fin de troisième année de médecine dans le cadre du numerus clausus. Ainsi donc, depuis  1996, il n’y a pas de limitation à l’entrée aux études de médecine en Communauté française alors qu’en Flandre il y a un examen d’entrée. Les étudiants francophones crient au scandale et visent la ministre De Block. Ils veulent même que le numerus clausus soit supprimé.  Et on les comprend. Pourquoi être limité en nombre quand les facultés de médecine francophones acceptent des milliers d’étudiants en première année de médecine? Ils visent la ministre fédérale et soutiennent ainsi l’illégalité créée par le ou les ministres de la Communauté française. 

Pour rappel, en 1996, on avait instauré avec les ministres socialistes à la santé un numerus clausus pour les études de médecine. Le rapport Peers à l’époque avait souligné le lien entre la pléthore de médecins et les dépenses en santé publique sans pour cela constater une amélioration de la qualité des soins et de l’efficience. Dans nos pays voisins un numerus clausus ou fixus existait déjà. Il y  avait des examens d’entrée en faculté de médecine ou des cotes élevées aux examens de fin d’étude secondaire étaient exigées. Mais en Belgique, à l’époque, il n’y avait pas de limitation à l’entrée mais on constatait un taux  d‘échec important en fin de première candidature. En Flandre, dès 1997, on instaure un examen d’entrée, et en francophonie, on instaure un visa (concours) au terme de la troisième candidature en médecine. Il a fallu attendre trois ans pour voir un recours au Conseil d’Etat et une annulation du système de visa par la ministre de l’époque. Pour restaurer une sélection on a installé le système du lissage. Le GBS a rencontré à l’époque les doyens des facultés de médecine de la Communauté Française qui nous ont expliqué qu’on allait instaurer un lissage qui est une sorte de sélection naturelle par des examens pour que le nombre de médecins diplômés coïncide avec les quotas de la commission de planification.  Le GBS avait contacté la presse pour dénoncer cette pratique qui a quand même été mise en place, mais jamais réellement appliquée.  Au contraire les facultés de médecine ont construit de nouveaux auditoires pour accueillir des milliers d’étudiants alors que les quotas fédéraux s’élevaient à 700 médecins par an. La ministre Onkelinx  est intervenue pour donner des numéros Inami hors quotas, tout en le maintenant  le numerus clausus et en exigeant un lissage effectif.

Vient ensuite la ministre De Block qui voit en Fédération-Wallonie Bruxelles un nombre de numéros Inami épuisés et un nombre croissant d’étudiants en formation. La presse ne parle plus de lissage mais d’injustice. Les étudiants francophones s’indignent, les parents désespèrent. La compassion mobilise les foules et on attaque ouvertement la ministre qui a le courage politique de vouloir faire appliquer la loi. On crie au scandale. On montre la pénurie en médecine générale tout en oubliant que la ministre Onkelinx avait imposé des quotas pour la formation des médecins généralistes et certains spécialistes. Mais en francophonie,  on forme trop peu de médecins généralistes et trop de spécialistes. On crie au scandale parce que des médecins roumains prennent les postes des spécialistes belges, sans chercher à comprendre pourquoi ces médecins obtiennent des postes hospitaliers ? Ils ne sont pas nommés par hasard.

Visa bis

Vient ensuite l’accord entre le Fédéral et la Fédération Wallonie Bruxelles. On donne les numéros Inami et en compensation on instaure une sélection. Le ou les ministres francophones instaurent  un examen en fin de première année. Un visa bis (!). La mort annoncée du système…Pas d’examen d’entrée car la qualité de la formation en fin d’études secondaires est tellement variable en Wallonie et à Bruxelles qu’il faut remplir les auditoires neufs  et donner sa chance à tous. Passons sous silence le coût de cette décision et interrogeons-nous sur la qualité de l’enseignement lorsque les cours sont dédoublés dans les auditoires et qu’il y a 18 étudiants en dentisterie pour un fauteuil de dentiste (déclaration d’un doyen de faculté de médecine 09-2015). Non, pas d’examen d’entrée, mais une solution équitable pour donner sa chance à tous ! Pas d’année préparatoire, moins coûteuse,  comme une math spéciale pour les ingénieurs !  Non, la solution équitable est un concours en troisième BAC. Et le Conseil d’Etat suspend cette solution équitable...

Plèthore de médecins spécialistes

En 1963 le ministre de la santé Leburton a déclaré lors de la grève des médecins : on les aura par leur nombre. On peut supposer que des ministres appartenant au même parti ont gardé la même philosophie. Mais à quel prix ? Une pléthore de médecins spécialistes 22/10.000 habitants en Wallonie et 16 en Flandre (lire Le Spécialiste N°88 à ce sujet). Une crise dans l’organisation de la médecine générale en Wallonie. Une qualité médiocre de la formation des futurs médecins et dentistes. Un coût déraisonnable. Et surtout la désillusion d’une génération de candidats médecins motivés à réussir des examens même mammouth dans certaines facultés. Les étudiants sont devenus des concurrents entre eux alors qu’on parle de la confraternité entre médecins. Sans parler de l’angoisse des parents qui investissent dans l’avenir de leur enfant et de la culpabilité de l’étudiant qui a échoué.

La décision est politique. La ministre De Block a eu le courage de prendre la décision de faire respecter la loi. La Flandre où le même ministre est compétent pour la santé et la formation des médecins généralistes et spécialistes met en place un système de soins de santé efficient. En Fédération Wallonie Bruxelles, on morcelle les compétences et on se moque des lois fédérales, des étudiants en médecine, des parents, et des patients. Même si on ne suit pas la demande de monsieur le recteur Torfs, de la KUL, on peut comprendre son irritation  et sa demande de la scission de la sécurité sociale belge.

Mais je comprends les étudiants en médecine francophone. Ils sont les pions sur un échiquier politique et crient à l’injustice. J’en ferais de même. Qui sont les auteurs de ces faits et qui sont les complices ? L’avenir nous le dira peut-être. Errare humanum est.  Perseverare diabolicum.

Dr Jean-Luc  Demeere, président du GBS

Lire également à ce sujet la tribune libre du Pr Jean-Jacques Rombouts, ancien doyen de la Faculté de médecine de l’UCL (Le Spécialiste N°88).

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