Nous devons former des médecins « augmentés »

Depuis plusieurs mois, de nouveaux programmes de médecine « augmentée » voient le jours dans des facultés privées à la pointe. Notamment, la faculté de médecine de l’Université Humanitas à Milan qui accueille chaque année des étudiants tant européens qu’américains qui lancera un double cursus « médecine-ingénierie »pour former une élite de médecins-ingénieurs (50 par an environ).

Pour répondre aux mêmes besoins de l’autre côté de l’Atlantique, Kaiser Permanente (connue pour son énorme réseau de 38 hôpitaux) a décidé de lancer une nouvelle école de médecine à Pasadena (Californie). Cette école formera gratuitement cinq cohortes de médecins pour tester son programme, déjà validé par la commission américaine d’éducation médicale.

Le but de ces deux initiatives est le même : former des médecins capables de gérer les nouveaux défis de la médecine numérique.

Quels sont ces défis ?

Certains auteurs américains définissent cette évolution la « Deep Medicine » et elle comprend ces quatre défis principaux : l’intelligence artificielle médicalisée, la médecine de précision, les thérapies génomiques et le big data.

En Belgique, la “Societé pour l’Intelligence Artificielle dans les études de santé” (S4AI)  a comme défi l’installation de ces programmes en Belgique et a fait l’objet d’une discussion au parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles : le ministre de l’enseignement supérieur a argumenté que la modification des cursus revient aux facultés de médecine par le principe de liberté académique.

De l’innovation et financement du « cursus augmenté »

La balle est donc dans le camp des universités. Mais pourquoi est-il nécessaire de modifier la nature du cursus médical pour former, nous aussi en Belgique, une partie de médecins-ingénieurs ?

Tout d’abord soulignons que les cursus novateurs sont principalement lancés par des organisations académiques privées : en Belgique, les établissements d’enseignement supérieur se partagent une enveloppe fermée dénoncée à plusieurs reprises et parfois définie comme « asphyxiante » par les directeurs d’établissement. Garder l’enseignement accessible à tous veut aussi dire qu’il sera très peu probable de pouvoir enseigner ces nouvelles compétences à tous les candidats médecins.  

Malgré cela, la création d’une filière spéciale pour les étudiants (ou la création d’un parcours alternatif dans la filière médicale existant déjà dans le monde francophone) et d’une filière en formation continue pour les médecins déjà diplômés est nécessaire pour créer des experts présents sur notre territoire et pouvant gérer la transition digitale de l’intelligence artificielle dans le monde médical tant hospitalier qu’extra-hospitalier.

Comment former un médecin-ingénieur ?

D’un point de vue formation, le « cursus augmenté » divise en deux les 6 ans du programme médical : les trois premières années (celles du bachelier) sont fortement révisées avec de sciences fondamentales « à la sauce polytechnique » incluant l’analyse mathématique, le codage informatique, les statistiques bayésiennes, l’algorithmique, l’ingénierie électrique, mécanique et biomédicale. Tout cela en plus des sciences médicales de bases (telles l’anatomie et la physiologie) qui sont décorées pour accentuer le coté recherche et développement. Après le bachelier, les compétences cliniques sont apprises principalement en milieu hospitalier pour préparer le candidat à sa spécialisation

Pouvons-nous faire plus simple ?

Avec une approche plus interdisciplinaire d’un bachelier en sciences de la santé (que je ne cesse de revendiquer), les ressources peuvent être partagées au niveau académique entre les facultés des sciences, polytechniques, et médicales. Ceci nous permettrait de donner autant d’orientations souhaitées au cursus du futur médecin dès le départ, y compris celle du médecin-ingénieur.

La place du médecin-ingénieur dans l’hôpital de 2040

S’il est (presque) certain que l’intelligence artificielle ne pourra pas se substituer au médecin, nous aurons en 2040 deux catégories de médecins au niveau international : le médecin-ingénieur « augmenté » et les autres.

Les médecins-ingénieurs constitueront probablement la future élite médicale que chaque hôpital voudra dans ses rangs, ce qui pourrait réduire « l’appétence » du monde hospitalier pour le deuxième. Les hôpitaux pouvant compter sur la collaboration des médecins-ingénieurs profiteront pleinement de cette expertise clinique « augmentée » pour révolutionner la dispensation des soins. De plus, ces quelques cliniciens pourraient constituer une « safety net » pour les processus incluant l’IA ; ceci sans oublier le côté recherche, terrain où les médecins « augmentés » seront grandement avantagés par rapport aux autres.

Dans cette optique, il semble indispensable de pouvoir former de façon accessible nos propres futurs cliniciens qui assureront la transition IA. Le cas échéant, soit les hôpitaux iront chercher ce genre de profil à l’étranger, où se contenteront d’une transition digitale médiocre, ce qui risque de faire partir leur patientèle ailleurs, surtout à une ère où la 5G pourra permettre une télémédecine très performante et où le tourisme médical extra-européen se développera en masse.

Re-formons nos médecins diplômés

Aucun doute ne persiste sur la nécessité de former l’éducation médicale de base. Mais il faut également fournir une chance à la poignée de médecin qui, déjà formés, souhaiteraient prendre le train de la médecine augmentée en cours de route et ainsi participer activement à cette dernière. Hôpitaux et universités peuvent dans ce sens aller main dans la main pour renforcer nos ressources médicales.

Face aux géants du numérique, nous avons peu de temps

Le marché de la santé numérique lancé par les grands géants technologiques montre chaque jour davantage que des applications augmentées par l’IA peuvent prendre en charge le suivi quotidien non compliqué de patients chronique dans plusieurs pathologies : ce processus ne cesse d’avancer, et n’enrichit guère les pays européens qui n’ont pas pris le train de l’intelligence artificielle en marche. Il nous reste peu de temps pour fournir à nos citoyens des professionnels de la santé qui soient à la hauteur des défis technologiques. Néanmoins, ces défis nous donnent une grosse chance pour révolutionner l’éducation des médecins, terrain délaissé depuis bien trop longtemps.

Lire aussi : 

L’Italie formera bientôt des «médecins-ingénieurs»

J-C Marcourt favorable à l’intégration de l’IA dans le cursus des futurs médecins ?

>Création d’une "Société pour l’Intelligence Artificielle dans les études de santé" en Belgique

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Derniers commentaires

  • Charles KARIGER

    20 juin 2019

    Médecins "augmentés" qu'il dit! Il serait bon de COMMENCER par augmenter les HONRAIRES du médecin-plouc d'un solide MULTIPLE!
    Visite du releveur de compteur de chaleur des radiateurs: QUARANTE-CINQ euros TRENTE-SEPT centimes (€45.37). Ceci comprend l'anamnèse du radiateur, son examen, la tenue d'un dossier et, bien sûr, la mise à jour d'un summmère. Pour le traitement, voir un autre service.
    Visite du plouc: 38,88 euros (code: 103132)!
    Et ce même plouc en a marre de se voir coller d'innombrables procédures d'électro-médecine, de se voir obligé de faire gratuitement le travail des "Zorg-anismes assurés" dont les subventions n'ont pas été reversées à ceux qui à présent font leur travail.
    Et Monsieur le Releveur des compteurs de chaleur n'a pas besoin d'une RC, etc... Ses "formations" lui sont offertes par son employeur tout comme son véhicule lui est fourni.
    Il est temps de se battre pour notre rémunération.

  • Véronique ROLAND

    12 juin 2019

    il existe depuis longtemps une formation universitaire, le génie biomédical, accessible aux médecins, pharmaciens, biologistes, ingénieurs, physiciens.. pourquoi une nouvelle structure alors que celle-ci peut servir à ce genre d'évolution de nos connaissances?