Euthanasie des patients en souffrance psychique : actualisation des directives déontologiques (Ordre)

Le Conseil national émet des directives déontologiques pour que la demande d'euthanasie des patients psychiatriques soit évaluée avec la plus grande prudence. Un texte qui n'est pas exhaustif et pourra évoluer dans le temps. La Commission Euthanasie du Conseil national de l'Ordre des médecins continuera à examiner cette problématique au cours des prochaines années. Cet avis remplace l’avis du Conseil national du 27 avril 2019.

L' avis du Conseil national reprend les directives déontologiques pour la pratique de l’euthanasie dans le cas des patients en souffrance psychique à la suite d’une pathologie psychiatrique (ci-après : « euthanasie des patients psychiatriques »). Il a été élaboré par la Commission Euthanasie du Conseil national de l’Ordre des médecins. La Commission s’est notamment basée sur le texte « Hoe omgaan met een euthanasieverzoek in psychiatrie binnen het huidig wettelijk kader? » de la Vlaamse Vereniging voor Psychiatrie (Association flamande de psychiatrie, ci-après « VVP »). L’avis de son pendant francophone, la Société royale de médecine mentale de Belgique (ci-après « SRMMB »), a également été sollicité.

La loi du 28 mai 2002 concernant l'euthanasie (ci-après « loi euthanasie ») dispose que l'euthanasie des patients psychiatriques est possible moyennant le respect de certaines conditions. Cependant, le Conseil national estime que la pratique de l'euthanasie de patients psychiatriques doit se faire avec une très grande prudence en raison de la problématique spécifique de ces patients.

Cet avis complète la loi euthanasie par quelques directives déontologiques, destinées à servir de fils conducteurs pour les médecins en cas de demande et de pratique de l'euthanasie de patients psychiatriques. Ces directives donnent une interprétation déontologique aux conditions légales ou ajoutent des règles de comportement à la législation existante.

Directives déontologiques pour la pratique de l’euthanasie des patients psychiatriques

Concertation entre minimum trois médecins

La loi euthanasie prévoit que le médecin qui pratique l'euthanasie d'un patient qui ne décèdera manifestement pas à brève échéance doit consulter deux médecins, qui prennent connaissance du dossier médical, examinent le patient et s'assurent du caractère constant, insupportable et inapaisable de la souffrance physique ou psychique. Le premier médecin consulté doit être compétent quant à la pathologie concernée. Le deuxième médecin consulté doit être un psychiatre ou un spécialiste de la pathologie concernée. Les deux médecins consultés sont indépendants tant à l'égard du patient qu'à l'égard du médecin traitant et rédigent un rapport concernant leurs constatations. Le médecin traitant en informe le patient.

Étant donné qu'une pathologie psychiatrique n'entraîne généralement pas en soi la mort du patient à brève échéance, le médecin qui envisage l'euthanasie de patients psychiatriques consulte toujours deux médecins dans la pratique. Au moins deux des trois médecins impliqués dans l’euthanasie sont psychiatres.

Le Conseil national estime que le médecin qui envisage l’euthanasie d’un patient psychiatrique doit aller encore un pas plus loin et doit se réunir avec les deux psychiatres. Chaque médecin explique aussi objectivement que possible son point de vue. Une trace écrite de la concertation est consignée dans le dossier médical.

Durant cette concertation, il est recommandé que les constatations des prestataires de soins en contact régulier avec le patient psychiatrique soient prises en compte.

Le Conseil national propose que l'INAMI prévoie le remboursement d'une telle concertation physique, sous la dénomination « Consultation euthanasie multidisciplinaire » (CEM), par analogie à la « Consultation oncologique multidisciplinaire » (COM) en oncologie.

Utilisation de tous les traitements possibles

La loi euthanasie dispose que le médecin qui envisage l'euthanasie de patients psychiatriques s'assure que le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et fait état d'une souffrance psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable.

Déterminer l'incurabilité et/ou le manque de perspectives d'une pathologie psychiatrique est une tâche complexe pour le médecin, d'autant plus en raison de la comorbidité significative et de l'incidence élevée de suicides. La pathologie psychiatrique en soi n'entraînera pas la mort du patient et l'évolution de la pathologie est très difficile à apprécier. Il peut tout de même être question d'incurabilité ou d'absence de perspectives car, pour certains patients psychiatriques, il n'existe pas de perspectives d'évolution positive de leur état de santé.

Le médecin qui constate que le patient souffre d'une pathologie psychiatrique incurable et sans perspective doit s'assurer que tous les traitements ont été utilisés. Autrement dit, le patient a eu tous les traitements evidence-based possibles pour sa pathologie. Si le patient psychiatrique a recouru à son droit de refus pour certains traitements evidence-based, le médecin ne peut pas pratiquer l'euthanasie.

Le médecin doit faire preuve de mesure, il ne peut pas verser dans l'acharnement thérapeutique. Le nombre raisonnable de traitements à suivre est limité, l'objectif est que le médecin soit convaincu que, pour la situation dans laquelle se trouve le patient, d'un point de vue médico-psychiatrique objectif, il ne peut plus appliquer de traitements susceptibles d'alléger les souffrances du patient.

Une maladie de plusieurs années

La loi euthanasie dispose que si le médecin estime que le patient ne décèdera manifestement pas à brève échéance, il doit laisser s'écouler au moins un mois entre la demande écrite du patient et l'euthanasie.

Elle prévoit aussi que le médecin doit s’assurer de la persistance de la souffrance physique ou psychique du patient et de sa volonté réitérée. À cette fin, il mène avec le patient plusieurs entretiens, espacés d’un délai raisonnable au regard de l’évolution de l’état du patient.

Le Conseil national estime que le médecin peut uniquement s'assurer de la persistance de la demande du patient psychiatrique si le patient est suivi pendant une période suffisamment longue. L'évolution de l'état de santé du patient psychiatrique est souvent imprévisible. L'état de santé initial sans perspective peut considérablement changer après un certain temps et moyennant l'application du trajet de soins adapté. Par conséquent, il n'est pas acceptable d'accéder à la demande d'euthanasie du patient psychiatrique au motif qu'il s'est écoulé un délai légal d'un mois après la demande écrite sans que ce patient ait suivi un programme de traitement sur une longue période.

Implication des proches dans le processus

La loi euthanasie prévoit que préalablement et dans toutes circonstances, si telle est la volonté du patient, le médecin doit s'entretenir de la demande de celui-ci avec les proches qu’il désigne.

Le médecin doit inciter le patient à impliquer sa famille et ses proches dans le processus à moins qu'il ait de bonnes raisons de ne pas le faire

Le Conseil national est conscient du fait que des conflits peuvent naître entre l'autonomie du patient d'une part et l'intérêt de la famille et/ou de la société d'autre part. Cependant, le médecin a des devoirs non seulement envers le patient, mais aussi envers des tiers qui pourraient subir un préjudice grave par la demande du patient. Le soutien de tiers et la protection de la société sont indissociablement liés à la problématique de la pratique de l'euthanasie de patients psychiatriques.

De plus, l'implication des proches dans le processus est aussi importante pour l'appréciation légale de savoir si la demande émanait éventuellement d'une pression externe. Dans ce cadre, le Conseil national souscrit au texte « Hoe omgaan met een euthanasieverzoek in psychiatrie binnen het huidig wettelijk kader? » de la VVP, qui se base sur le texte néerlandais « Richtlijn verzoek om hulp bij zelfdoding door patiënten met een psychiatrische stoornis ».

Capacité et conscience du patient

La loi euthanasie prévoit que le médecin qui pratique l'euthanasie ne commet pas d'infraction s'il s'est assuré que le patient est capable et conscient au moment de sa demande.

Il convient ici de distinguer la capacité juridique et la capacité effective du patient.

La capacité d'une personne est une notion juridique. C'est généralement le juge de paix qui, avec l'aide d'un médecin, déterminera si une personne est incapable et quels actes juridiques elle ne peut plus poser par conséquent. Le médecin qui pratique l'euthanasie doit vérifier si une telle mesure de protection juridique s'applique au patient qui introduit une demande d'euthanasie.

La capacité effective, c’est-à-dire la capacité à exprimer sa volonté ou à être conscient des actes que l'on pose, est une situation de fait que le médecin qui pratique l'euthanasie doit apprécier. Pour les patients psychiatriques, cette appréciation n'est pas évidente parce que les troubles psychiatriques peuvent nuire à la capacité du patient à exprimer sa volonté. Une pathologie psychiatrique n'implique pas automatiquement que le patient ne puisse pas formuler une demande d'euthanasie réfléchie et valide.

Pour l'appréciation par le médecin de la capacité du patient à exprimer sa volonté, le Conseil national souscrit au texte « Hoe omgaan met een euthanasieverzoek in psychiatrie binnen het huidig wettelijk kader ? » de la VVP, qui se base sur le texte néerlandais « Richtlijn verzoek om hulp bij zelfdoding door patiënten met een psychiatrische stoornis ».

Renvoi en cas où le médecin refuse de pratiquer l’euthanasie

La loi euthanasie prévoit qu’aucun médecin n’est tenu de pratiquer une euthanasie.[1]

Si le médecin consulté refuse, sur la base de sa liberté de conscience, de pratiquer une euthanasie, il est tenu d’en informer en temps utile et au plus tard dans les sept jours de la première formulation de la demande le patient ou la personne de confiance éventuelle en en précisant les raisons et en renvoyant le patient ou la personne de confiance vers un autre médecin désigné par le patient ou par la personne de confiance.[2]

Si le médecin consulté refuse de pratiquer une euthanasie pour une raison médicale, il est tenu d’en informer en temps utile le patient ou la personne de confiance éventuelle, en en précisant les raisons. Dans ce cas, cette raison médicale est consignée dans le dossier médical du patient.[3]

Le médecin qui refuse de donner suite à une requête d’euthanasie est tenu, dans tous les cas, de transmettre au patient ou à la personne de confiance les coordonnées d’un centre ou d’une association spécialisé(e) en matière de droit à l’euthanasie et, à la demande du patient ou de la personne de confiance de communiquer dans les quatre jours de cette demande le dossier médical du patient au médecin désigné par le patient ou par la personne de confiance.[4],[5]

Dans les hôpitaux, il est recommandé de désigner une personne spécialisée en matière de droit à l’euthanasie qui peut informer le patient des conditions légales auxquelles elle est soumise.

Conclusion

Par cet avis, le Conseil national émet des directives déontologiques pour que la demande d'euthanasie des patients psychiatriques soit évaluée avec la plus grande prudence.

Ce texte n'est pas exhaustif et peut évoluer dans le temps. La Commission Euthanasie du Conseil national de l'Ordre des médecins continuera à examiner cette problématique au cours des prochaines années.

Lire aussi: Euthanasie : la SSMG va (bientôt) épauler les généralistes

  • [1]Art. 14, deuxième alinéa, loi euthanasie.

    [2]Art. 14, cinquième alinéa, loi euthanasie.

    [3]Art. 14, sixième alinéa, loi euthanasie.

    [4]Art. 14, septième alinéa, loi euthanasie.

    [5]cf. aussi ‘Obligation déontologique de renvoi en cas de refus de pratiquer une euthanasie’ – Avis du Conseil national du 6 mai 2017 (avis CN, 16 septembre 2016, a158004).

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