Santé mentale et coronavirus, pourquoi faut-il s’attendre à un tsunami? (Dr C.Depuydt)

En parcourant mon lien d’actualité, voici quelques titres d'articles publiés en lien avec la Santé mentale. Coronavirus et santé mentale : les dépressions ont doublé en un mois (Paris Match), Coronavirus: la santé mentale particulièrement usée par la 2e vague  (Le monde), Les conséquences socio-économiques du coronavirus ont ainsi « participé à une augmentation des facteurs de risque suicidaire » (Le Soir), Anxiété, insomnie, dépression: une personne sur cinq guérie du Covid-19 développe une maladie mentale dans les 90 jours (La Libre) , ... Rien de très réjouissant malheureusement, et la pratique clinique des psychologues et psychiatres, dont je fais partie, confirme l’alarmisme de ces titres : les demandes explosent. Alors, comment appréhender et comprendre le déferlement de troubles psychiques qui s’apprête à nous tomber dessus ?

C’est que personne n’est épargné.

Commençons par la population dite « normale », ceux qui n’ont pas d’antécédents psychiatriques sont évidemment confrontés à des difficultés sans précédent liées au coronavirus. Perte des repères professionnels et sociaux liés au confinement, changements dans la dynamique familiale, manque de perspectives, difficulté à gérer les enfants, affronter la maladie et parfois le deuil dans des circonstances exceptionnelles, sont autant de facteurs qui viennent déclencher ou raviver une détresse psychologique. Qui plus est, lors de la 1ère vague, les citoyens ont mobilisé des ressources qu’ils n’ont pas eu le temps de renouveler, ils affrontent cette 2ème vague avec moins d’énergie. De plus, le 1er confinement laissait place à un certain espoir que la crise soit de brève durée, c’est peu de dire, qu’après 8 mois, cet espoir s’est significativement amenuisé.

A cela s’ajoute l’anxiété majeure au niveau socio-économique de toute une partie de la population dont les revenus ont été coupés du fait des confinements et des fermetures de commerces. 

Encore ne faut-il pas oublier l’augmentation des violences intrafamiliales principalement vis-à-vis des femmes et jeunes enfants. Durant la période allant du mois de mars au mois de juin 2020, le nombre de plaintes pour violences intrafamiliales a augmenté de 15 à 20 % en Belgique.

Tous ces éléments favorisent la montée des états anxieux, dépressifs, des troubles du sommeil ou des idées suicidaires. Les appels au Centre de Prévention du Suicide concernant directement le Covid 19 sont passés de 5,5 % en septembre à 9,8 % en octobre. Presque un doublement, et encore, on estime que ces chiffres sont largement sous-estimés.

On comprend donc la nécessité urgente et impérieuse de développer un soutien de 1ère ligne pour toutes ces personnes fragilisées : numéro de téléphone gratuit, orientation rapide vers un psychologue ou un psychiatre de 1ère ligne. Il est important que l’accès soit facile  et largement remboursé.

Il y a également les usagers de la santé mentale qui souffraient de troubles psychologiques et psychiatriques préalables qui voient leur condition se dégrader du fait du confinement : arrêt des traitements, confinement dans des lieux étroits, délire autour du virus, peur d’aller à l’hôpital, rechutes. C’est ainsi que les hospitalisations sous contrainte en psychiatrie ont presque doublé depuis la fin du 1er lockdown.

Mais, et c’est là que les choses se compliquent, il y a en plus toute une série de populations à risque qui se trouvent encore plus impactée par le coronavirus et ses conséquences psychiques.
Les ado et les étudiants d’abord, privés de relations sociales et d’enseignement, inquiets pour leur avenir, le reconfinement mine leur moral et sape leur motivation. Je peux témoigner, dans ma pratique, d’une augmentation de demandes de consultation pour dépression avérée chez des jeunes de 17-20 ans.

Ensuite, il y a les patients qui ont contracté le coronavirus, jusque 20 % d’entre eux développeront des troubles psychiatriques dans les 90 jours suivant leur infection. Anxiété, dépression et insomnie sont les affections les plus communes, mais parmi ceux qui ont passé plusieurs jours ou semaines dans des unités de soins intensifs, on peut voir également l’apparition d’un PTSD (Syndrome de Stress Post-Traumatique).

Enfin, un groupe fortement à risque qu’il ne faut pas négliger sont les soignants eux-mêmes. Relativement préservés lors de la 1ère vague, nous voyons l’épuisement de ceux-ci lors de cette 2ème vague et ceci d’autant plus qu’ils n’ont pas pu recharger leurs batteries entre les deux du fait de la pression constante qui est mise depuis le mois de mars avec la gestion du covid bien sûr mais aussi la nécessaire poursuite de la prise en charge des cas non covid. Qui plus est, nombre d’entre eux ont été atteints par la maladie, ainsi que leurs proches, ce qui a favorisé un absentéisme majeur lors de cette 2ème vague, faisant porter un fardeau supplémentaire sur les soignants restés au front.

Les professionnels de santé directement impliqués dans le diagnostic, le traitement et les soins des patients atteints de covid-19 ont été confrontés à de multiples sources de stress : manque d’équipement individuels de protection, information incomplète concernant le virus, risque de contamination personnelle et de transmission familiale, charge de travail augmentée, nombre inhabituel de décès parmi les patients. Les soignants ont été également confrontés à une réorganisation de leur travail, ont été affectés à des services qui n’étaient pas leur lieu d’exercice habituel. En outre, ils ont été confrontés à de lourdes questions morales ou éthiques liées à la prise en charge et à l’orientation des patients. Enfin, l’agressivité des patients et de leur famille vis-à-vis des professionnels de la santé a significativement augmenté durant cette période.

On peut facilement comprendre donc le risque majeur d’épuisement, de burn-out et de PTSD parmi les soignants. Une offre de prise en charge est indispensable, durant leurs heures de travail, facile d’accès et globalisée (approche psycho-corporelle). Les soignants ont besoin avant tout de récupérer, d’être soutenu et que la difficulté de leurs tâches soir reconnue et valorisée. Toute initiative visant à les soulager (garde d’enfants, mise au repos, livraison des courses à domicile, relaxation, massages, etc.) est la bienvenue.

Un chantier énorme s’ouvre donc dans un secteur déjà bien challengé, d’autant que les soignants en santé mentale sont eux-mêmes soumis exactement aux mêmes facteurs de stress que ceux décrits plus hauts. Le tsunami arrive et les barrières pour l’arrêter sont bien fragiles. Courage à tous !

Vous souhaitez commenter cet article ?

L'accès à la totalité des fonctionnalités est réservé aux professionnels de la santé.

Si vous êtes un professionnel de la santé vous devez vous connecter ou vous inscrire gratuitement sur notre site pour accéder à la totalité de notre contenu.
Si vous êtes journaliste ou si vous souhaitez nous informer écrivez-nous à redaction@rmnet.be.

Derniers commentaires

  • Aimee MUREGANCURO

    30 décembre 2020

    ????

  • Charles KARIGER

    29 décembre 2020

    ..."challengé"...?
    CHALLENGE, subst. masc.
    Épreuve périodique entre deux sportifs ou deux équipes pour la conquête d'un titre ou d'un trophée (coupe, statue, etc.) que le vainqueur garde en dépôt, puis cède au vainqueur d'une nouvelle épreuve. Lancer, gagner un challenge; faire disputer un challenge. Ex.: La compagnie a institué des challenges annuels auxquels participent ces sociétés (Y. BECQUET, L'Organ. des loisirs des travailleurs, 1939, p. 235). Les coupes et challenges en yachting à voile marquèrent le début des grandes compétitions (Jeux et sp., 1968, p. 1548) :