Morituri vos salutant ! La mort du neurologue de ville serait-elle programmée ? ( Dr J-E Vanderheyden )

Le Dr Jean-Emile Vanderheyden, 68 ans, neuropsychiatre de formation, travaille comme neurologue uniquement en privé, à Fleurus.. Il constate que le neurologue libéral, appelé aussi de ville, se voit de plus en plus marginalisé par rapport aux hôpitaux et centres de référence. Quelle activité pourrait-il encore avoir au service de la population, si cette évolution continue ?  

Le neurologue libéral, appelé aussi de ville, se voit de plus en plus marginalisé par rapport aux hôpitaux et centres de référence. Quelle activité pourrait-il encore avoir au service de la population, si cette évolution continue ?  

Pourtant l’activité de spécialiste en ville reste très appréciée par de nombreux patients, pour des raisons de proximité, de facilité d’accès (on peut souvent se garer près de l’entrée, le cabinet est fréquemment au rez-de-chaussée..) et de facilité d’horaires (consultations en soirée, le samedi …) permettant des prises de rendez-vous assez rapides dans le temps. C’est évidemment plus facile pour un médecin indépendant, maître de son temps… !

Ce ne sont dès lors pas les éventuels honoraires non conventionnés raisonnables qui dérangent les patients au vu de ce confort d’accueil ! Le médecin de ville est aussi plus proche des patients dans la mesure où il peut exceptionnellement  se déplacer au domicile du patient pour y rencontrer aussi les aidant proches ou familiaux et l’un ou l’autre soignant pour donner un avis spécialisé qui envisage aussi le fonctionnement du patient dans son milieu de vie, sous forme d’une consultation dite psycho-écologique (1) fort demandée et appréciée dans le contexte de maladie neurologique chronique. 

Des soins hospitalo-centrés

Par contre, de plus en plus d’accès aux soins sont hospitalo-centrés. Faut-il prendre comme simple exemple le fait qu’en mars 2021, pour être vacciné, un spécialiste de ville devait avoir un contrat avec un hôpital pour pouvoir bénéficier de la vaccination dans cet hôpital ? Sinon, il était livré à lui-même, comme tout citoyen lambda, et devait attendre la convocation donnée par l'ordinateur central (2).

D’autres exemples sont plus criants encore, d’autant qu’ils concernent les patients et leur qualité de vie. Ainsi, divers centres d'expertise et conventionnés ont été créés en Belgique, concernant particulièrement la sclérose en plaques, mais aussi les maladies neuromusculaires, l’infirmité motrice cérébrale ... Cette création n'est pas remise en question, car elle intervient à juste titre concernant des méthodes diagnostiques bien particulières basées sur des appareils ‘sophistiqués’, des interventions ou examens coûteux. D'autre part, des médicaments tout aussi coûteux et rares doivent être bien distribués, en sélectionnant bien les patients. Il est donc important que des ‘Super-spécialistes’ suivent de près, dans les formations spécifiques et congrès internationaux, ces nouveautés et puissent les appliquer, avec un suivi attentif des effets secondaires à bien connaître pour protéger les patients.       

Tout ceci n’est pas remis en cause : il est évident que le médecin de ville doit référer des patients compliqués ou rebelles aux thérapeutiques usuelles, nécessitant dès lors une prise en charge très spécialisée. Cependant il ne faut pas exagérer dans cette prise de position et confier quasi tous les soins inhérents à ces pathologies aux centres spécialisés et rendre ainsi des soins assez basiques inaccessibles aux spécialistes de terrain.

Une histoire vécue

Je voudrais illustrer mon propos par un exemple récent concernant la prescription de logopédie à une patiente atteinte de sclérose en plaques. Selon un article de loi, cette prescription, même du bilan logopédique initial, doit pour être remboursée par la mutuelle, émaner d'un spécialiste travaillant dans un centre reconnu pour la sclérose en plaques (image) (3). Ainsi, le neurologue libéral se voit amputer de certaines décisions diagnostiques et thérapeutiques pourtant peu difficiles et ne nécessitant pas des compétences internationales.  

Voici l’histoire que j'ai vécue. Mme D.M., est âgée de 67 ans, elle souffre de sclérose en plaques depuis l’âge de 28 ans, et démontre une forme secondairement progressive depuis une vingtaine d’années, devenue paraplégique. Depuis quelques mois, elle devient progressivement dysarthrique au point que les troubles de la communication avec le mari sont importants. Je prescris donc un bilan logopédique, de manière classique, comme je le fais généralement, entre autres à mes patients parkinsoniens ou cérébro-vasculaires.

La mutuelle refuse toute prise en charge

Quelle n'est pas de ma surprise de recevoir de la logopède un retour de mutuelle refusant toute prise en charge, car je ne fais pas partie d'un centre conventionné spécialisé dans la sclérose en plaques !! Je contacte le médecin de la mutuelle qui me dit que pour lui, selon la loi, seuls la signature et le cachet d'un spécialiste conventionné lui importent… même si ce spécialiste n'a pas vu la patiente, il suffirait que je transfère mon document vers le spécialiste en question et lui demander une signature au bas du document ... Cette attitude me paraît particulièrement inconvenante entre autres au plan déontologique et parce qu'elle contourne l'esprit de cette loi qui demande l'avis d'un spécialiste reconnu dans un centre spécialisé.

Bien qu’il soit difficile d'envoyer une patiente très handicapée, se déplaçant en chaise roulante, à la visite d'un spécialiste dans un hôpital à un xème étage, ce qui refroidissait déjà le mari au niveau pratique (parking…), j'ai demandé à un collègue travaillant dans un tel centre reconnu, de voir cette patiente pour sa dysarthrie en associant sous enveloppe tout le dossier et le pourquoi de cette démarche un peu exceptionnelle en souhaitant un délai assez rapide. Je n'ai jamais eu de retour de ce collègue. En fait, le mari, malgré qu’il ait déposé au secrétariat ma demande, n’a pas pu obtenir de rendez-vous avant 6 mois.

Je peux comprendre que pour ce collègue, voir une patiente qu'il ne connait pas pour remplir une demande de bilan logopédique, ne l'intéresse pas beaucoup au milieu de consultations beaucoup plus importantes qu'il a sans doute à réaliser au jour le jour. Dès lors, la patiente a abandonné l'idée d’une aide logopédique remboursée, et a demandé à sa logopède une prise en charge spécifique pendant 2 à 3 mois, dont coût : environ 800 euros. J’ai revu la patiente après cet assez court délai – bien plus rapide que le rendez-vous donné par le spécialiste du centre conventionné ! - : elle a retrouvé une conversation tonique et assez bien articulée ! Le premier content est le mari, qui peut à nouveau vivre heureux avec son épouse !

On marche à reculons

Est-cela que nos dirigeants souhaitent vraiment pour nos patients et les soins de proximité ? Quoi qu’il en soit, ceci confirme que nos gouvernants marchent à reculons en Europe, quand on sait que dans les pays voisins, par exemple en France – avec la loi d’avril 2021 promue par la députée Stéphanie RIST, visant à un système de santé  amélioré par la confiance et la simplification !  (4) - les prescriptions de paramédicaux sont de plus en plus libres, voire des auto-prescriptions, débarrassées  de paperasseries pour autorisations diverses,  ou de (sur-)qualification,  ce qui engendre même des réactions défensives chez les médecins ! (5-6).  Ainsi le droit de prescription est élargi et le renouvellement des ordonnances pour moins d’un an, n’est plus lié à de l’administratif…sans compter les missions de dépistage et vaccination des pharmaciens….On en est fort loin en Belgique, voire c’est tout l’inverse, au grand dam des soignants et des patients ! 

Ainsi si l'on continue de cadenasser tous les soins même basiques pour les pathologies neurologiques chroniques dans des centres d'expertise conventionnés hospitaliers, cela pourrait finir par concerner non seulement la sclérose en plaques et les maladies neuromusculaires, mais aussi d’autres affections comme Parkinson, Alzheimer... ! 

Que restera-t-il alors comme travail aux spécialistes de ville dont la dégradation des relations avec les spécialistes hospitaliers n'est malheureusement qu'amplifiée à travers ces décisions politiques clivantes ? Morituri vos salutant  Laurette Onkelinx, Maggie De Block, Frank Vandenbroecke et cætera !

Lire aussi: Pas si vite! (Dr J-E Vanderheyden)

    1. Vanderheyden JE. La visite psycho-écologique chez le patient neurologique chronique. Neurone 2022 ; 27 (4) : 31-33
    2. Vanderheyden JE. Se faire vacciner … le parcours du combattant ?  Rotary Contact 2021 ; 443 (octobre) : 26-27.
    3. Arrêté Royal modifiant, en ce qui concerne les prestations de logopédie, l’article 36 de l’annexe de l’A.R. du 14/9/84 établissant la nomenclature des prestations  de santé en matière d’A.O. soins de santé et indemnités.  Le Moniteur Belge du 18-6-12. https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body.pl?language=fr&caller=summary&pub_date=12-06-18&numac=2012022221
    4. La loi Rist. https://www.vie-publique.fr/loi/277465-loi-rist-26-avril-2021...
    5. Renault MC. Les médecins sur la défensive. Le Figaro 13 janvier 2022 : p 25.
    6. Renault MC. Attaqués sur leur pré carré, les médecins s’inquiètent. Le Figaro 24 mai 2022 : p 20.

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Derniers commentaires

  • Erik FRANCOIS

    12 juin 2022

    Très bien dit. Et croyez bien que le jour où nos dirigeants se rendront compte qu'ils ont tué la médecine spécialisée de ville et que cela aura entraîné un surcoût et une baisse de qualité de prise en charge, ils créeront des commissions pour étudier le problème, paieront des consultants pour mieux comprendre, et à grand renfort de publicité positive, clameront qu'ils ont réussi à élaborer un plan pour ré-implanter des spécialistes extra-hospitaliers. Archivons votre article pour ce jour-là, en espérant qu'un jeune consultant puisse alors le lire.

  • Bruno LULLING

    08 juin 2022

    Et ce sera la même chose avec notre futur bulletin numérique!

  • Charles KARIGER

    07 juin 2022

    L'important, ce n'est pas la rose!
    L'important n'est pas la nécessité du soin, la bonne indication.
    L'important, n'est pas la qualité du soin apporté.
    L'important n’est même pas l'existence, la réalité du soin .
    L'IMPORTANT, C'EST QUE LE DOSSIER ADMINISTRATIF SOIT COMPLET ET BIEN ENCODE !