Morbidité pédiatrique et maltraitance infantile: un risque épidémiologique à ne pas négliger en période de pandémie

Avec l’émergence du Covid-19 et la pandémie qui en résulte, les derniers mois ont vu des adaptations importantes et essentielles dans le cadre de vie des enfants et adolescents. Si la nécessité des mesures mises en place tant sur le plan scolaire que familial trouve toute sa légitimité dans l’obligation sanitaire et éthique de préserver la population des risques liés aux effets graves du virus, il n’en demeure pas moins que les dispositions et restrictions imposées à la population pédiatrique engendrent également des effets délétères sur leur santé tant somatique que physique.

En fonction des tranches d’âge et des possibilités d’interactions sociales, les effets des mesures de confinement au sens large se font sentir de manières différentes mais tout autant concrètes. On ne compte plus le nombre de témoignages d’adolescents qui expriment un mal être, un décrochage scolaire, une apparition ou aggravation de troubles anxieux. A l’âge où il est attendu de les voir tenter l’aventure sociale, relationnelle et sexuelle, les voici connectés à un écran, privés des explorations du monde émotionnel, culturel et intellectuel. On peut bien sûr être tenté de relativiser la situation des jeunes mais pouvons-nous cependant ignorer que l’environnement qui leur est offert entrave leur développement comme le fait si bien remarquer Boris Cyrulnik (1) ? Confinés depuis presque un an au domicile familial de façon quasi permanente sans évasion relationnelle, sans réelle confrontation à l’autre : comment penser que cela n’aura pas d’impact sur leur personnalité et leur santé ? Si l’on sait aujourd’hui que l’isolement est une agression psychique, ne répondons-nous pas à l’agression virale par une autre ? Ces adolescents vissés à leur chaise, sans stimulations affectives et intellectuelles voient leur imaginaire s’appauvrir et avec lui le goût du travail, du sport, de la musique… Sans perspectives, les voilà réfugiés dans des mondes virtuels imaginés pour eux mais non par eux-mêmes. Les neurosciences viennent nous rappeler aussi que les risques psychiques et de troubles du comportement sont réels sans une réflexion sociétale pluridisciplinaire et une proposition d’outils permettant aux jeunes de s’extraire d’un environnement stérile privé d’altérité.

Parmi les autres effets collatéraux observés au sein la population pédiatrique, il en est une qui résulte directement des effets de l’isolement sur les adultes : la maltraitance infantile. De l’isolement naît l’angoisse et de l’angoisse naissent les dysfonctions relationnelles qui mènent aux violences intrafamiliales. Dans les familles fragilisées qui ne peuvent s’appuyer sur un socle affectif suffisamment sécurisant, la perte du réseau –certes souvent ténu lui aussi- et de l’équilibre relationnel peuvent faire émerger la violence conjugale et la maltraitance envers les enfants. Les chiffres sont alarmants : si au printemps 2020, les signalements pour maltraitance infantile ont chuté à la faveur du confinement, la réouverture fût-elle partielle des milieux scolaires et associatifs combinée à la reprise des activités des équipes de soin psycho-sociaux de première ligne, ont vu affluer les situations de maltraitance infantile grave au premier rang desquelles l’abus sexuel et l’inceste. Si le déséquilibre des dynamiques familiales, les conduites à risque et les assuétudes ont joué un rôle, l’isolement des familles, la promiscuité physique et psychique, l’absence de cadre protecteur physique et de contenant psychique (travail thérapeutique individuel, école, équipes psycho-sociales…) ont certainement contribué à ces passages à l’acte ou leur intensification. A titre d’exemple, l’équipe pédiatrique pluridisciplinaire Cellule Maltraitance du CHR-CHU Liège a vu augmenter de 40% les situations de violences graves faites aux enfants entre mai et novembre 2020, les violences sexuelles émergeant de façon nette comme étant la forme de maltraitance la plus fréquente notamment chez les filles dans la tranche d’âge des 3 à 6 ans.

Alors, que dire si ce n’est que résonnent douloureusement aujourd’hui les mots d’un autre jeune, d’un autre temps : « La jeunesse se désespère. Elle est profondément désespérée parce qu'elle n'a plus d'appuis. ». Aurait-il alors pensé, Daniel Balavoine, que quarante ans, le SIDA et une pandémie plus tard, ses propos resteraient actuels ? Dénoncer la souffrance des enfants sans aucune complaisance est la première étape vers une société responsable, pilier de la démocratie. 

S’il reste bien entendu évident que la maîtrise et l’éradication de la pandémie due à la covid-19 doivent demeurer un objectif prioritaire commun, on peut cependant s’interroger légitimement sur l’impact épidémiologique de restrictions relationnelles et intellectuelles imposées à la population pédiatrique et de leur portée sur le risque-bénéfice en termes de morbidité au sein même de cette population.

En tout état de cause, ces données cliniques et psycho-sociales nous invitent à repenser la place des enfants et des adolescents au sein de la crise sanitaire et au-delà, de la société. Il est urgent que s’articulent autour de l’Enfance et son environnement des visions à la fois de protection sanitaire intergénérationnelle mais aussi de garantie d’un développement psychique, mental et physique sécurisant, garant de la santé des plus  jeunes.

(1) « Des âmes et des Saisons », B. Cyrulnik, Ed. Odile Jacob

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