Malaises chez les médecins? (Dr Caroline Depuydt)

Après ces 18 mois de Covid, les soignants sont épuisés, les médecins ne font pas exception, loin de là, et de toutes parts, ils font ressentir leur ras-le-bol. Les MACS qui font une grève historique, les plus âgés qui menacent de raccrocher la blouse prématurément, les femmes qui ont du mal à trouver leur place malgré la féminisation de la profession, les taux de burn-out qui atteignent des pics inquiétants. On a l’impression que le costume craque de toutes parts… Alors, malaises chez les médecins? 

Le Dr Caroline Depuydt, psychiatre à Epsylon asbl et administratrice à l’ABSyM, nous livrera pour cet été une série de 4 tribunes qui se veut être une amorce de réflexions autour de ces thématiques et proposera à chaque fin de chronique une suggestion, peut-être plus philosophique que réellement pratique et qui ira parfois à contre-courant des idées toutes faites sur le sujet, ou pas, à vous de voir. Cette première tribune est consacrée au burn-out. 

Burn-out, fragilité individuelle ou dérive du système?
Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, on en entend beaucoup parler. Première cause d’invalidité de longue durée en Belgique, il n’épargne pas les médecins, que du contraire. Les chiffres révéleraient plutôt une épidémie alarmante dans le milieu médical, tant aux USA qu’en Belgique ou en France, où plus d’un médecin sur 2 présente des signes de burn-out. Aux USA, un médecin se suicide chaque jour. Comment comprendre cette augmentation galopante et l’échec apparent des politiques de prévention?

C’est que probablement la compréhension du phénomène reste incomplète, surtout pour la profession spécifique du soignant et du médecin, au même titre dès lors que le sont les tentatives de prise en charge proposées.

Si l’on s’en tient à une perspective individuelle, les symptômes décrits se présentent classiquement en une triade qui se caractérise par:

Un épuisement émotionnel (irritabilité, désaffectisation), physique (troubles du sommeil, somatisations) et cognitif (troubles de la concentration, oublis).

Un désinvestissement de la relation à l’autre. Il est la conséquence directe du premier point et se marque par de la froideur, un manque d’empathie, du cynisme.

Un sentiment d’échec professionnel avec une dévalorisation, une impression de ne pas être à la hauteur, une démotivation voire un dégoût de la profession. Il est renforcé par les deux premiers volets et vient également alimenter le processus par la tendance à compenser ce sentiment d’échec avec une surcharge de travail. La boucle est bouclée.

Se contenter d’aborder la question sous ce prisme individuel, tant du côté des facteurs de risque, où l’on parle du perfectionnisme, des difficultés relationnelles, du côté hyperconscienceux de l’individu par exemple, que du côté du traitement qui met en avant l’arrêt de travail, les séances de gestion du stress et les médicaments, serait une grave mécompréhension d’une autre dimension participative au burn-out, celle de la place que prend le système institutionnel dans l’engrenage.

Dès la formation du médecin, on voit apparaître un gros problème, celui de la double contrainte paradoxale dans laquelle il passera le reste de sa carrière. D’un côté, il lui est demandé d’être capable de prendre soin de lui comme des autres mais par ailleurs, on le formate à toujours travailler plus, s’adapter plus, sous peine d’être considéré comme «faible» ou «inadapté aux exigences du métier».

A cela, vous ajoutez ce que J.-P. Unger décrit comme la mise en place à l’hôpital d’un management de type industriel et commercial en lieu et place d’une gestion à finalité sociale, et vous vous retrouvez avec une situation explosive. L’autonomie des soignants en est réduite à sa plus simple expression et est soumise aux diktats d’une productivité médicale toujours accrue. Cette perte d’autonomie au profit des exigences de production constitue un élément central du burn-out. Même si le médecin a toujours eu l’habitude de travailler de nombreuses heures, il ne comprend plus maintenant le sens de cette surcharge de travail et il est pris dans un conflit éthique interne duquel il sort toujours perdant. Il lui est impossible de répondre en même temps à ses besoins personnels, à ceux de son patient et aux besoins de productivité institutionnelle. Et c’est là l’effet pervers de cette double contrainte dans laquelle il est coincé, c’est un loose-loose deal qui fait s’effondrer son système de valeurs internes et ouvre grand la porte à l’épuisement, au désinvestissement et au sentiment d’échec. Trois symptômes que vous reconnaîtrez puisqu’ils sont ceux du burn-out. Le Dr Eppe le décrit très bien dans un article à paraître sous peu dans les Acta Psychiatrica; elle propose d’ailleurs de renommer le concept en «syndrome d’effondrement identitaire par épuisement éthique» pour les soignants.

C’est pourquoi la prise en charge doit impérativement être double, axée sur l’individu certes mais avec une reconnaissance de la dimension systémique. Il faut ainsi chercher à remettre de l’humain dans le système par un recrutement, une valorisation, un soutien aux médecins dès leur engagement, voire même dès leur formation. Quant à l’individu, il doit sortir de cette double contrainte dans laquelle le système l’a empêtré si on veut arriver à contenir l’épidémie d’épuisement émotionnel professionnel.

Suggestion:
Stop à la double contrainte qui demande au médecin d’être humain et dans le soin mais qui le met dans des conditions de travail qui rendent impossible la mise en pratique de ce pré-requis. Le conflit éthique interne ne peut cesser que si le management hospitalier rebascule d’une logique commerciale vers une logique sociale.

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Derniers commentaires

  • Francois Planchon

    05 juillet 2021

    Dans ce contexte, la limitation des Nos INAMI est une aberration : pour qu'il y ait de bonne conditions de travail, il ne faut plus accepter cette "pénurie" organisée.
    Si on craint la sur-consommation, c'est l'INAMI et les mutuelles qui doivent contrôler les abus, et la profession qui doit auto-surveiller son éthique avec l'ordre...
    Mais limiter en créant une pénurie artificielle de prestataires, c'est alimenter les burn-outs...

  • David DUPONT

    30 juin 2021

    J'ai bien essayé d'expliquer tout cela a l'ordre des médecins.... mais ils me répondent les yeux exorbités "continuité des soins!"tagada tsointsoin! Me semblaient pas bien aller très bien...Burn out?

  • Philippe TASSART

    24 juin 2021

    Ne serait-il pas temps d'arrêter de se plaindre ? Il y a trop de bonnes âmes prêtes à tout pour nous aider en s'accaparant une partie de notre travail "pour notre bien ".