« Les PFAS, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg » (Dr Cleeren-SSMG)

Pour la cellule environnement de la SSMG, le problème des PFAS n’est que la partie émergée de l’iceberg. Et surtout, les pouvoirs publics à tous les niveaux, y compris européen, se voilent en quelque sorte la face avec des réglementations qui masquent la réalité scientifique.

Le problème des PFAS vient d’éclater au grand jour, à la suite d’une émission télévisée. Il y a pourtant des normes européennes, non seulement pour ces polluants mais encore pour de nombreux autres. Le problème est que l’on ne peut techniquement pas les surveiller tous. La question se pose dès lors de la manière dont il faudrait gérer cette problématique. Lorsqu’on parle de substances comme les perturbateurs endocriniens, l’étude de leurs mécanismes d’action montre qu’ils agissent à des concentrations extrêmement faibles. En pratique, dans un but de régulation qui soit réaliste avec le caractère ubiquitaire de ces substances pour le moment, il est utile de fixer des seuils réglementaires. Cela dit, il n’y a pas de seuil en dessous duquel ils ne représentent aucun danger pour la santé. 

Par exemple, le Canada (1) propose pour les PFAS un seuil de 30 ng/L pour l’eau potable (prenant en compte un nombre important de PFAS). L’Environmental Protection Agency (EPA, USA) a revu cette année son seuil à 4 ng/L. Mais elle ne prend en compte que quelques PFAS. 

L’OMS (2), l’EFSA (3) et l’AFSCA (4) parlent d’une « dose hebdomadaire tolérable » (TWI, Tolerable Weekly Intake) qui a été fixée à 4,4 ng/kg poids corporel/semaine, pour la somme des 4 principaux PFAS (PFOS, PFOA, PFNA et PFHxS). Donc même si on imaginait qu’on ne soit exposé que par l’eau potable, qui représente environ 20% de notre exposition, cela signifie qu’un enfant de 20 kg ne devrait pas absorber plus de 12,6 ng/j. Cela correspondrait à 44,1 ng/j pour un adulte de 70 kg. Or s’ils buvaient tous les deux 1,5L d’eau sur la journée à la concentration de notre future norme (100 ng/L), ils absorberaient 150 ng de PFAS sur la journée. 

Cette quantité représente 12 fois la TWI pour l’enfant et 3.4 fois la TWI pour l’adulte… Pour finir, compte tenu des effets toxiques qui ont été associés à certains PFAS et des incertitudes actuelles concernant les niveaux d’exposition présentant un risque pour la santé humaine, l’Organisation mondiale de la Santé et Santé Canada recommandent de maintenir les concentrations dans l’eau potable « au niveau le plus faible qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre ». 

Cela montre clairement une notion qu’il faut bien comprendre : les seuils n’ont qu’une valeur réglementaire et sont là pour aider à encadrer mais ne constituent PAS une dose en dessous de laquelle la sécurité du patient est assurée.

La problématique des PFAS est représentative de la manière avec laquelle les autorités gèrent la pollution chimique et ses conséquences sur la santé au sens large. Lorsque les preuves scientifiques relatives à un danger pour l'environnement ou la santé humaine sont incertaines et que les enjeux sont importants, les décideurs sont normalement tenus d'appliquer le principe de précaution.

Dans le cas qui nous occupe, les preuves scientifiques s'accumulant pour plusieurs substances, nous parlons ici de prévention. 

C’est aux industriels que devrait incomber la preuve de l’absence d’effet sur la santé à court, moyen et long terme d’une substance, avant de l’incorporer dans les biberons de nos enfants… et pas l’inverse. Avec le travail des lobbies et une bonne dose d’inertie politique, nous perdons à chaque fois des décennies de dégâts sur la santé de la population.

De plus, il est absolument impossible de suivre le rythme effréné d’apparition de nouvelles substances chimiques. Pendant que nous bataillons pendant 30-50 ans pour faire interdire un seul composé chimique bien précis, des centaines d’autres sont déjà prêts à le remplacer sans aucune garantie qu’ils soient moins nocifs pour la santé. Même pour les substances qui sont considérées comme potentiellement dangereuses pour la santé dans les pays voisins, nous manquons cruellement de suivi/monitoring de ces substances. Par ailleurs, comme nous venons de l’observer, il y a un gros problème de transparence et d’indépendance sur les données récoltées. Ensuite, il est temps de mettre en place des plans d’action au niveau national, visant à réduire ces polluants dans l’environnement et les eaux.

Pour finir, rappelons que les PFAS ne sont qu’une famille de perturbateurs endocriniens et qu’il en existe bien d’autres comme les phtalates, les bisphénols etc., que l’on peut aussi retrouver de l’eau que nous buvons. A côté des PE (5), l’existence d’autres polluants dans l’eau potable comme les résidus de médicaments (carbamazépine, diclofénac, …) (6), les pesticides (7), les microplastiques (8,9), les sous-produits de chloration comme les trihalométhanes (10)… pose question. 

Le manque d’action tant au niveau national qu’international pour réduire notre exposition à ces polluants chimiques est interpellant. Au niveau Européen, le glyphosate vient par exemple d’être réautorisé pour une période de 10 ans (la Belgique s’est abstenue dans ce vote pourtant crucial). Par ailleurs, la révision du règlement REACH, qui était une réforme ambitieuse visant d’ici 2030 à interdire ou restreindre considérablement l’utilisation de nombreux produits chimiques dangereux,  vient également d’être reportée. Pourtant ce n’est qu’en ayant des politiques nationales et européennes fortes que nous parviendrons à réellement à protéger la population de ces substances néfastes.

Lire aussi > Produits chimiques dangereux: la Cellule Environnement de la SSMG adresse une lettre ouverte à l'Europe

    1. Perreault M. Vers des taux plus bas de perfluorés dans l’eau. La Presse. 2023. 

    2. World Health Organization. PFOS and PFOA in Drinking-water: Background document for development of WHO Guidelines for Drinking-water Quality..

    3. EFSA. PFAS dans les aliments : l’EFSA évalue les risques et définit un apport tolérable (2020). 

    4. AFSCA. FAQ PFAS.

    5. Recherche de perturbateurs endocriniens et d’autres substances d’intérêt récent dans les eaux en vue de la protection de la sante publique et de l'environnement programme de recherche « BIODIEN ». Rapport final. 2018. 

    6. Wallonie Environnement SPW. Recherche des substances émergentes dans les eaux et intéressant la santé publique et l’environnement. Programme de recherche IMHOTEP. 2018.

    7. Defourny A. Questions (im)pertinentes sur les pesticides dans l’eau wallonne. 2023.

    8. Fournier E. et al. Microplastics in the human digestive environment: A focus on the potential and challenges facing in vitro gut model development. Journal of Hazardous Materials 2021; 415: 125632. 

    9. Senathirajah K et al. Estimation of the mass of microplastics ingested – A pivotal first step towards human health risk assessment. Journal of Hazardous Materials 2021; 404: 124004.

    10. Mouly D. et al. Les sous-produits de chloration dans l’eau destinée à la consommation humaine en France. Santé publique France, 2019.



     

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