Après 6 ans comme médecin de campagne solo indépendant en Ardennes et Famenne et administrateur délégué de l’AGEF.be, le plus grand arrondissement belge pour un cercle de garde, je commence à bien connaître les rouages des soins de santé en Belgique.
À mes heures perdues, je suis également clinicien aux urgences pour « garder la main » sur la médecine aiguë mais surtout pour rester en contact avec des collègues de la seconde ligne hospitalière. Mon humaniste de cœur m’empêche d’être partisan et me fait préférer le choix parmi les programmes politiques. Ma philosophie est que tous les courants de pensée ont du bon et du mauvais mais peuvent coexister pour certaines valeurs tant que la voie est une recherche d’équilibre.
Liberté simplifiée pour les soignants
Comme mes amis acteurs de terrain, je ne me réjouis pas des promesses politiques dans la presse. Le cœur du mécanisme de la santé est rouillé, les politiciens ne font que rajouter des engrenages autour ou le secouent de gauche à droite. Un jour, la machine va bugger et s’arrêter. Nous regrettons tous les mesures one-shot. Le politique ne veut pas de simplification de l’arbre qui s’est complexifié et par conséquent compliqué. Dans ma famille, on dit : ce qui est fait n’est plus à faire, ce qui est bien fait demande du temps mais ce qui est mal fait doit être refait. J’ai l’impression que la politique reste focalisée sur le premier principe, a peur du second et nie le troisième. Dans un verger pourri, il faut jeter et replanter.
Pour moi, la crise des soins est due à une trop forte ingérence de l’État sur le soignant. D’un côté, l’augmentation des malades est linéaire et pourrait être gérée en majorant la cadence mais de l’autre côté, l’administratif lié aux malades est exponentiel et ingérable par une seule personne. Pour éviter le retard, nous soignons le jour et complétons les dossiers la nuit. Étendre le professionnel est rédhibitoire car les nouvelles générations de généralistes accordent une forte valeur à leur vie privée. En ce sens, les jeunes deviennent désintéressés des primes en échange de nouveaux devoirs. Certains quittent même le système de concertation pour gagner moins mais plus de paix. Qui paie, décide.
Pourquoi nous enchaîner à des règles surhumaines pour de l’argent ? Être heureux dans notre métier est le but. Une amie a ouvert un centre de bien-être médical, déconventionnée, désaccréditée et désormais très épanouie. Une autre amie devenue médecin du travail voit toute une équipe gérer son administratif. Le changement de mentalité aux réactions punitives du ministère amplifie la pénurie car la perte de soignants met le reste sous pression qui risque alors la cessation d’activité.
Changement du paradigme de sécurité sociale
Selon le concept de Daens, le médecin demande son prix, le patient paie son dû, la mutuelle rembourse si vous payez bien la cotisation. Vrai omnipracticien depuis autant d’années, je vois l’échec du soin fonctionnarisé car on lie davantage l’assurance santé au médecin qu’au patient qui devient alors déconnecté de sa santé. Le paiement indirect tiers-payant ou gratuité engendre l’hyperconsommation, une comptabilité casse-tête, une baisse du rapport travail/temps et une impression de fraude.
Remettre la circulation monétaire en un cycle paiement-remboursement me semble être une solution, jusqu’à permettre de lier l’acte et le forfait. Si vous avez un abonnement de santé, c’est comme si vous économisiez dans une caisse ; rien ne vous empêche d’avoir une carte de retrait de cette caisse et de payer le médecin au forfait à l’heure pour le temps consacré ou le médecin à l’acte pour la prestation effectuée.
La valeur temporelle est la mesure phare qui pourrait tout sauver
Prévention, soins à domicile, I.A., les idées foisonnent pour investir dans l’équilibre budgétaire de la Santé par le concept QALY. Un investissement est une promesse mais c’est un équilibre très instable qui est basé sur une intuition lorsqu’on a une base de données trop fine. C’est comme penser orienter un funambule semi-aveugle vers le droit chemin sur un fil peu visible dans une atmosphère embrumée, ce sera un gaspillage d’argent public.
Je constate que le généraliste est la seule profession libérale à qui il est interdit d’utiliser le temps comme critère de rémunération. Je prône l’introduction d’un temps financier de prestation qui permettrait de séduire les soignants à passer plus de temps à la prévention, de se rendre plus facilement en visite au lit du malade et responsabiliserait les patients à préparer leur administratif médical. Je suis un cartésien, pas un futuriste. Le robot (ou bien l’assistant de prestataire) qui va gérer demain tout l’administratif du soignant en un claquement de doigt, je n’y crois pas.
La transversalité des métiers de la première ligne ambulatoire et hospitalière
Enfin, la dernière des idées est l’émulation d’un soignant par l’apprentissage et la transmutation des métiers de la première ligne. Une transdisciplinarité facilitée est mon rêve. Autant généraliste ambulatoire que clinicien, je vis de vrais paradoxes.
Un généraliste qui souhaiterait devenir urgentiste doit redevenir étudiant pendant six ans, en perdant son statut de généraliste. S’il souhaite être maçon, il peut rester généraliste à vie et repratiquer généraliste quand il le souhaite. Si, devenu urgentiste, il désire redevenir généraliste, il redevient étudiant pendant quatre ans et perd son statut d’urgentiste.
L’actuel effacement de reconnaissance des acquis est absurde. Il faut cesser de favoriser la vision du généraliste comme fourre-tout psycho-social. Les formations trop ludiques doivent redevenir plus universitaires avec plus de stages hospitaliers pour le stagiaire. Le généraliste doit redevenir un interniste de terrain plus en lien avec l’hôpital. Tout le monde y serait gagnant : des urgentistes smuristes plus âgés pour des aménagements de fin de carrière plus doux comme médecin de village, des aides-soignants qui aimeraient davantage participer au service ou bien des infirmiers expérimentés qui aimeraient repousser leurs limites en devenant médecin.
Par l’envie qu’on a d’un système qui tourne rond et d’un malade bien soigné, j’affirme que ce sont les soignants la force de la Santé. Écoutons-les.
Derniers commentaires
Pascale DAUBIE
28 mai 2024Merci pour votre lucidité, votre bon sens et votre optimisme malgré tout.
Pascale Daubie
Bruno LULLING
27 mai 2024Merci Confrère !
Un psychiatre extra hospitalier de 62 ans
Pascale JENAER
27 mai 2024merci.ça fait du bien d'entendre un jeune exprimer tout ceci.
L'état est en train d'assujettir les medecins généralistes non plus payés à l'acte ,à la qualité et au temps donné au patient mais payés à la prime.Si vous êtes bien obéissant,vous aurez une prime de plus,même si vous soignez mal ou trop rapidement vos patients,on s'en fout.En rentrant dans ce système,on perd notre liberté thérapeutique,et de pensée..
Charles KARIGER
27 mai 2024La sollicitude de nos candidats-mandataires politiques pour la dispensation des soins peut se résumer par la promesse d’un système de santé…
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Comment résister à un si beau projet ?
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Encore un mot.
Par la carotte (mais une toute petite…) ou par le bâton (le gros), il est question de contraindre des médecins à exercer, voire à s’installer en des lieux délaissés. Curieusement, les planificateurs ne précisent pas quel sera le statut de ces pionnières. Ni qui les y remplacera pendant leurs grossesses. Ni si elles devront alors abandonner le « logement de fonction ». Ni quid d’un congé de parentalité.
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À croire que la seule solution sera le retour du bon vieux vœu de chasteté…
À dire aux étudiant(e)s : Carabins, on se fout de vous.