Entre surcharge de travail, démissions silencieuses et quête de sens perdue, la médecine générale vacille. Dans cette tribune incisive, le Dr Robin Gueben, médecin généraliste dans la région de Verviers, dresse un constat alarmant de la situation actuelle. Il appelle à une refonte complète du système pour sauver la vocation et garantir la pérennité d’une médecine de proximité indispensable.
La médecine générale nécessite des réformes en profondeur du modèle actuel en définition, en logistique et d’un point de vue financier. Le modèle actuel créé par les mentors pour la bureaucratie ne répond plus aux exigences d’un métier moderne revendiqué par la jeune génération. Le système ne craque pas car ces mêmes mentors font les prolongations et sinon tentent de revendre littéralement ce modèle propagandé aux jeunes. Cette théorie du sacerdoce relayée par compagnonnage a échoué.
La démission silencieuse : un phénomène inédit
Le taux d’étudiants entrant dans la filière faiblit, les démissions précoces fleurissent partout et progressivement le phénomène inédit de la démission silencieuse naît inconsciemment : faire semblant de faire son métier, sinon s’en tenir au strict minimum.
Une inversion artificielle de la tendance
Le primum movens est expliqué sociologiquement : une profession initialement en souffrance d’une pléthore, d’une rude concurrence et par conséquent d’une précarité économique du manque de patients a artificiellement inversé la tendance. L’élitisme par difficulté des études et ensuite le numerus clausus censé créer une rareté médicale experte et le plein-emploi sont allés trop loin.
La surcharge de travail et la dévalorisation des actes médicaux
La pénurie et la surcharge de travail seraient acceptables si elles pouvaient être compensées par des revenus corrects d’un travail effectif bien rémunéré par sa qualité clinique et non par sa quantité de multitudes de petites tâches ne valant rien. Non seulement il n’y a plus de généraliste mais en plus ceux qui restent doivent travailler infiniment d’une myriade d’actes dérisoires pour gagner honnêtement leur vie.
Un système qui décourage les nouvelles générations
Les médecins des sphères de pouvoir ont réussi à protéger la profession en capitalisant sa valeur par tête. Et heureusement, car sans primes, il n’y aurait plus de généraliste actif en Belgique. La démission totale ne traduit que l’expression d’une faillite à s’intégrer à ce système capitalisé de la santé belge. Mais, malgré tous ces avantages, il reste ardu de monter dans le train en marche pour un nouveau-venu qui démarre de rien, à moins de se sacrifier en services de temps aux entreprises généralistes ou bien des rachats de parts de société (pour ne plus dire patientèle).
Le rêve brisé du bon généraliste
Dès son entrée sur le marché du travail entre 2007 et 2023, la génération Y a tenté une remotivation à ces médiocres gains par une quête de sens du « bon généraliste ». Le rêve se brise quand tout millenial se rend compte qu’être généraliste n’est plus être soignant mais health-manager. Ajouté à cela, cette image du magicien pouvant tout, robot surhumain constamment au top et riche bourgeois n’ayant pas le droit de se plaindre et vous obtenez tous les facteurs de souffrance d’un job : brown-out (perte de sens), bore-out (ennui), burn-out (épuisement) et harcèlement moral dans la vie pro et privée.
Quiet quitting et semi-réorientations
Le mot carrière disparaît complètement de la quête du bonheur. Vu l’impossibilité d’absence totale de revenus, un cadre strict est imposé, souvent dans les limites du serment d’Hippocrate, avec un détachement apparu sous le nom de quiet quitting. Médecin esthétique, médecin en bien-être, médecin nutritionniste, médecin naturopathe, médecin sportif, … Les semi-réorientations des soignants foisonnent, au grand dam de ceux qui restent pour traiter tous les autres problèmes.
La fuite des cerveaux : un déni politique
La politique de santé est toujours dans le déni car cette fuite de cerveaux, via les statistiques des critères de seuils, à tendance à les exclure des conventions de santé, et à les empêcher de réintégrer le système ultérieurement. La logique du conditionnement négatif « trime plus ou meurs affamé » est déplorable mais surtout, pour le dire platement, quelqu’un qui démissionne se contrefout d’être viré par son boss.
Trois pistes de solutions : redéfinition, organisation, revalorisation
Il existe beaucoup de solutions dans trois thèmes : redéfinition, logistique-organisation, revalorisation financière. Redéfinition : les mutuelles nous harcèlent de critiques quand nous n’avons même pas de temps à consacrer aux soins ? Transformons le gestionnaire de santé en interniste ambulatoire et donnons ce rôle administratif aux mutuelles et à leurs médecins-conseils. Organisation : les communes en pénurie s’étendent par tache d’huile ? Reconcentrons les forces vives dans leurs locaux fournis gratuitement pour devenir des permanences de garde de jour. Revalorisation : des agences de consultance entraînent les généralistes en mercenaires pour des milliers d’euros de missions ? Recréons une nomenclature avec tarif horaire d’activités fières.
Une épée de Damoclès économique
Le ministère ne nous écoute même plus. Il ne compte que sur une petite survie dans une grande hécatombe d’abandons. C’est pourtant un réel problème pour toute la société car sans généraliste, un patient se rend à l’hôpital et au lieu de faire payer à la société trente euros, dix fois plus ; et souvent avec une pathologie dix fois plus avancée. Ainsi, la sécurité sociale à court d’argent impactera ces coûts sur les cotisations sociales et les impôts. In fine, je le crains, la crise vocationnelle de la médecine générale est une épée de Damoclès économique. Le NHS anglais est mort et on voudrait un NHS belge. Depuis longtemps, je sonde nos martyrs et j’attends. Ils reviendront comme ils ont quitté : avec la volonté de vraiment pratiquer la médecine générale qui guérit, qui soigne et qu’ils aiment.
Derniers commentaires
Robin Gueben
01 octobre 2024Je remercie mes collègues qui confirment un peu ce qu'il se passe et que j'espère tiennent bon. Je me permets de répondre au Dr T.
Je pense que la génération X et Baby-Boom ne se reconnaîtra pas dans cet article. Deux amis m'ont bloqué sur Twitter X dans l'heure de sa publication. Votre âge ne vous empêche pas de comprendre les changements d'une époque, mais votre capital oui je pense.
Je n'ai pas de capital, j'ai commencé de rien. Les actes ne sont pas bien valorisés en MG, mais le capital très bien valorisé. C'est l'image de la jarre remplie de noisettes ou de noix de coco. La médecine au rabais est interdite, je demandais le prix conventionné (avant d'être déconventionné). La vérité est que je passe mon temps en médecine générale à effectuer des tâches pas bien rémunérées. Je n'ai quasiment que des nouveaux patients qui n'ont aucun dossier (je remonte jusqu'à des documents de 2005), si les dossiers des mentors sont si bien remplis, où sont-ils ? L'administratif de gestion n'est pas ce qui demande de l'effort, c'est l'administratif de fond ou de rattrapage de fond. Le fédéral, ou l'Aviq ou les mutuelles exigent cet administratif de fond pour la médecine du travail, souvent une fois l'année (et pas de manière informatique, non, car l'envoi se bloque dans le programme).
Je ne peux pas refuser des téléconsultations, déjà parce que c'est rapide sur le nombre de patients que je vois et surtout parce que cet administratif de fond encombre mon agenda et ne me laisse pas le temps d'avoir des consultations réelles pour des bêtises réglées facilement au téléphone ou en visio.
Comment redonner goût au métier ? Plus de clinique et moins d'administratif. Et pour le moment, je ne vois que via l'argent pour le faire. La clinique mieux valorisée et plus remboursée, l'administratif coûteux et moins remboursé. C'est un principe économique pour changer un comportement de patient. Les jeunes ne pensent pas "argent", ils pensent clinique avant administratif. Ce n'est pas moi qui le dit, ce sont toutes les études. Vu que les politiciens ne le font pas, je me suis déconventionné et j'ai appliqué ce principe moi-même. L'argent est un outil pour me permettre de ne pas démissionner d'un désespoir de ne plus voir de cas cliniques et de l'épuisement d'avoir trop d'administratif.
J'ai paradoxalement trouvé l'amour de la médecine générale dans des missions privées (à temps-partiel). Pleurer sur mon sort est mal me connaître. Pourquoi dans ce job annexe, je n'ai aucun administratif à faire, que de la clinique et en médecine générale je n'ai que de l'administratif et tous les cas cliniques se dirigent vers l'hôpital ? Si cette voie qui est préconisée, elle mourra demain. Si mon job à côté me permet d'être épanoui en argent et en m'éclatant dans la médecine clinique, je ne serai plus médecin généraliste pratiquant la médecine générale qui va dans la mauvaise voie demain.
Il est un peu facile de prôner le dégoût de l'argent avec un grand capital. Si vous n'avez pas votre prime DMG en janvier, ne souhaiteriez-vous pas d'augmentation d'honoraires sur les prestations ? Je ne crois pas, non. C'est pourtant la situation économique d'un ou une jeune généraliste.
Je pose le choix : soit la médecine générale continue cette voie de health-manager médecine du travail administrative, et l'on crée une autre filière ambulatoire pour les déçus de ce métier ; soit la médecine générale arrête cette folie et devient ce qu'elle était avant : un médecin interniste ambulatoire de village qui guérit et qui soigne et les médecins à qui ça ne plaît pas (souvent âgés ou ayant peur de pratiquer des actes cliniques) se lancent en médecine du travail.
Ne rien faire mènera inexorablement vers la démission silencieuse, et ensuite la démission totale une fois que le ou la généraliste aura trouver son tremplin. Mes articles ne servent pas à démoraliser, mais à illustrer la réalité de ce qu'il se passe.
https://www.lespecialiste.be/fr/actualites/socio-professionnel/connaissez-vous-le-quiet-quitting.html
Philippe TASSART
30 septembre 2024Excusez-moi de vous parler à contre sens. Je ne me retrouve pas du tout dans la description que vous faites du généraliste. Et ce n'est pas mon âge qui m'empêche d'analyser correctement la mutation que vit notre métier dans une société elle-même en plein chamboulement.
Comment peut-on justifier le fait d'être débordé de travail et de ne pas très bien gagner sa vie ? Cela parait contradictoire. Je ne vois qu'une explication, c'est que vous passez votre temps à réaliser des tâches non rémunérées. Pour éviter cela, perso, je réalise tous les actes médicaux en consultation. Je refuse de prescrire par mail ou téléphone. idem pour tout certificat. Je refuse les consultations par téléphone, je refuse de prendre rendez-vous chez les spécialistes à la place de mes patients, j'ai un agenda en ligne, ce qui économie beaucoup de temps. Il y a le problème des fameuses tâches administratives mais sont-elles si nombreuses et si énergivores ? La facturation des tiers payant se fait en un seul clic, les handicare sont automatiques et rapides, les ordonnances/certificats également, les demandes de remboursement sont aisées pour beaucoup de médicaments, sinon les formulaires sont facilement accessibles, les lettres d'envoi aux spécialistes sont rapides via les dossiers, etc etc ... Le secret, c'est de chouchouter ses dossiers. C'est rassurant un dossier bien tenu, rien n'est oublié. Cela suppose évidemment de toujours les travailler et le meilleur moment, c'est en consultation.
Comment redonner du goût au métier ? En augmentant les honoraires ? Je ne le pense pas, surtout actuellement, les honoraires me semblent décents (s'ils étaient réellement indexés) et les études le prouvent, les jeunes ne mettent pas l'argent avant le reste, mais l'inverse. L'amour ne s'achète pas, il se redéfinit tous les jours.
Qu'attendiez-vous de votre métier de généraliste? Qu'il soit exaltant à chaque consultation ? Je comprends votre déception. Il y a pourtant de la grandeur à réaliser des tâches humbles. Et de temps en temps, l'étincelle jaillit, la réussite est là. Encore faut-il la provoquer, créer les conditions pour que cette étincelle mette le feu ! Un précieux conseil, ne l'éteignez pas avec vos larmes.
Martine STRAUS
30 septembre 2024C’est tellement vrai, c’est tout ce que je ressens mais je ne l’avais pas compris
Pascal Petit
30 septembre 2024quel triste constat mais tellement vrai .... pascal ( 52 ans ) et 25 ans de pratique
Danielle DE BECKER
30 septembre 2024Merci !
Belle synthèse (concise en plus) d'un triste bilan ...
Alain LEFEBVRE
30 septembre 2024Triste constat : l'administration a fait des généralistes, des spécialistes "clavieristes" et "encodologues" !