A-t-on perdu le nord ? Plaidoyer pour une autre approche de la crise (Dr Tyl Jonckheer)

Le Dr Tyl Jonckheer est coordinateur de la Belgian Paediatric COVID-19 Task Force et président de l'Association professionnelle belge des pédiatres. Il exprime ici en son nom propre son opinion concernant l'approche actuelle de la crise de corona.

Cela fait à peine deux semaines que les écoles ont rouvert que déjà des problèmes surgissent de toutes parts. Tout le monde sait qu’il est illusoire de penser qu’avec la politique actuelle, les écoles resteront ouvertes jusqu’aux vacances de carnaval. En France, l’école a repris depuis déjà une semaine mais les choses se passent mal. Les écoles ferment, les enfants font la file pour un test nasal, les parents ne savent plus quoi faire de leur progéniture en quarantaine, les directions d'école n'ont plus d’enseignants. C'est ce qui nous attend en Belgique dans les prochaines semaines. Cependant, ce ne sont pas seulement les écoles, mais toute notre société qui connaîtra ce sort si nous n'avons pas le courage de remédier à cette situation en profondeur.
 Réfléchir à un paradigme différent
N'est-il pas temps de réfléchir à un paradigme différent, en tenant compte de nos connaissances actuelles du variant omicron ?
La concertation entre les ministres de l'éducation et de la santé a eu pour résultat que les parents doivent désormais faire passer un test nasal à leurs enfants le dimanche soir. Il a même été suggéré de le faire deux fois par semaine ! Existe-t-il un modèle démontrant que cela aura un effet significatif sur la propagation du virus, avec la montée en flèche attendue de la circulation du virus dans la société et parmi les enfants ? Par conséquent, un grand nombre d'enfants asymptomatiques seront testés positifs, ce qui obligera beaucoup d'entre eux à être en quarantaine. Je pense que de nombreux parents ne prendront pas ce risque si leur enfant est asymptomatique. Les responsabilités se déplacent des politiques vers les parents... Et les parents seront confrontés à des dilemmes très inconfortables. Une enquête montre que seuls 8% des parents sont disposés à faire face à cette situation.
 Cette situation devient intenable. 
La décision de mettre aussi en quarantaine les enfants non infectés d'un parent positif se traduira par un plus grand nombre d'enfants en quarantaine, étant donné le nombre considérable de parents qui seront infectés dans les prochaines semaines (et pas seulement par leurs enfants). 
Les enseignants qui sont asymptomatiques, mais qui, avec les nouvelles mesures, même assouplies, devront tout de même être en quarantaine ou en isolement, baisseront les bras massivement et paralyseront complètement l'enseignement.
Mais pourquoi ? Est-ce nécessaire ? Cette situation devient intenable. Des données récentes montrent que les gens sont presque totalement impuissants face à omicron, même avec un confinement complet (cf. Pays-Bas). Tout au plus peut-on espérer un ralentissement discret en imposant toutes sortes de mesures que l'opinion publique considère surtout comme des remèdes de fortune particulièrement fatals pour certains secteurs.  
 Mettre en quarantaine ceux qui ne veulent pas se faire vacciner
Comme l’école est le secteur parfaitement contrôlable par excellence, il sera très tentant d'intervenir à ce niveau en premier lieu. Cependant, l’école est aussi un secteur essentiel. La fermeture des écoles et l'enseignement à distance ont des conséquences considérables à court et à long terme, non seulement pour les enfants mais aussi pour la société dans son ensemble. Vingt pour cent des enfants ont pris du poids au cours des deux dernières années, les enfants en surpoids deviennent obèses, les enfants obèses deviennent sévèrement obèses. Plus de quatre-vingts pour cent de ces enfants resteront obèses à l'âge adulte, ce qui entraînera des coûts supplémentaires énormes pour le système de soins de santé dans le futur, ainsi que des décès prématurés et une détresse psychologique. Avec les variants précédents il a été démontré qu'une diminution du niveau d'éducation raccourcit davantage l'espérance de vie que la COVID-19. Cette différence sera encore plus grande avec omicron. Des études montrent que chaque année scolaire perdue coûte environ 10 % des revenus de toute une vie, ce qui correspond à une réduction de 4,5 % du PNB. Il a également été démontré que les effets de la dépression et de l'anxiété finissent par coûter plus d'années de vie que la COVID-19. Sans parler de la fracture croissante entre les riches et les pauvres (également à l'échelle mondiale), des risques de maltraitance des enfants, de dépendances, etc.
Ne serait-il pas plus judicieux de mettre en quarantaine tous ceux qui ne veulent pas se faire vacciner et ceux qui présentent un risque accru (cela demandera un certain courage politique) dans l'espoir que les hôpitaux ne soient pas surchargés lors de la cinquième vague ? Cela peut être décidé aussi rapidement que la fermeture des classes et des écoles... ou des événements et des cafés... ou des coiffeurs et des salles de billard... Il faut calculer l'impact économique de cette décision. Cependant, le soutien de la partie de la population qui se fait vacciner (la grande majorité) sera beaucoup plus important et le message, simple et clair. 
 Laissez le virus circuler
C'est pourquoi je plaide pour ceci : laissez le virus circuler de manière contrôlée parmi les personnes et les enfants vaccinés. Continuez à appliquer toutes les mesures pour protéger les autres et vous-même : portez un masque buccal, gardez vos distances, limitez vos contacts, aérez les espaces intérieurs, faites-vous administrer une dose de rappel rapidement, n'hésitez pas à faire un autotest en cas de symptômes. Testez par PCR seulement les personnes symptomatiques ou les contacts à haut risque qui représentent une menace pour les patients vulnérables. Laissez ceux qui n'ont pas de symptômes travailler ou aller à l'école. Si un adulte est testé positif pour une raison quelconque, mais qu'il est asymptomatique, laissez-le travailler comme d'habitude, avec un masque FFP2 et dans le respect des précautions de base. Demandez-lui de ne pas avoir de contact avec des personnes à risque, de rester chez lui autant que possible après le travail et de ne pas se rendre dans les bars, les événements, les clubs de sport, etc. Ne fermez plus les classes ou les écoles. Laisser le personnel hospitalier asymptomatique travailler dans le respect des mesures de protection requises.
Protégez les personnes à haut risque. Faites changer l’avis des non-vaccinés en introduisant des mesures strictes qui les excluront de facto de la société si on ne peut ou ne veut pas imposer l'obligation de vaccination. Cela permettrait par la même occasion d'ouvrir aux vaccinés l’accès aux autres secteurs les plus touchés, comme la culture et les événements.
Les économies financières seront considérables si l'on fait moins de tests, moins de recherche de contacts, si l'on laisse les gens travailler s'ils ne présentent aucun symptôme. Cet argent pourrait alors être utilisé pour le soutien psychologique des enfants et des adultes, le rattrapage des retards scolaires, le suivi intensif des enfants obèses, l'aide aux secteurs les plus touchés de la société, etc. En outre, la pression sur les médecins généralistes, les CLB, les PSE, les centres de tests et autres diminuera sensiblement. Cependant, la pression sur les soins intensifs pourrait augmenter très fortement pendant une courte période et des décisions éthiques difficiles devront parfois être prises. Mais les modèles présentent un degré d'incertitude très élevé. Faut-il sacrifier l'ensemble de la société pour se prémunir contre les pires scénarios des statisticiens ?
Se cacher derrière des modèles mathématiques n'est pas faire preuve de courage politique. L'Espagne va probablement décider de considérer la COVID-19 comme une grippe. La Belgique la devancera-t-elle ?  

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Derniers commentaires

  • Michel PLETINCX

    13 janvier 2022

    Tout à fait d'accord avec Tyl Jonckheer. Les décisions politiques actuelles partent dans tous les sens mais c'est surtout le bon sens qui disparaît. Nous devons apprendre à vivre avec le virus et pousser (obliger?) le maximum de gens à se faire vacciner. Ce n'est qu'ainsi que l'on évitera un désastre socioéconomique, une fermeture inutile des écoles et de toutes les activités nécessaires à notre santé mentale. Les conséquences psychologiques sont déjà désastreuses
    Dr Michel Pletincx