« Soigner ne sera plus un acte libre » : des professionnels témoignent

Ils sont généralistes, spécialistes, kinésithérapeutes, dentistes, infirmiers… et ont pris la parole sur les réseaux sociaux. De LinkedIn à X (anciennement Twitter), en passant par le groupe « Union belge des prestataires de soins » sur Facebook, les témoignages se multiplient. Tous décrivent une médecine qu’ils aiment, mais qu’ils peinent de plus en plus à exercer. Les voix se lèvent, toujours plus nombreuses, et peut-être est-il temps de les écouter… 

« Ce que nous dénonçons, c’est un glissement progressif vers une médecine sous tutelle, où le praticien n’est plus qu’un exécutant obéissant à une logique budgétaire », résume un médecin généraliste sur LinkedIn. "Aujourd’hui je suis médecin en grève. Parce que je ne veux pas d’une dérive autoritaire dans les décisions des soins de santé . Parce que je veux continuer à prodiguer des soins de qualité. Parce que j’aime mon métier et que les patients méritent mieux qu’une médecine au rabais ou à deux vitesses.
Parce que j’en ai marre du mépris. J’irai néanmoins à l’hôpital pour maintenir les soins urgents et nécessaires. Nous ne laissons pas tomber les patients ! " déclare une psychiatre , toujours sur Linkedin.

À travers ces plateformes, de nombreux prestataires de soins expriment leur inquiétude : plafonnement des suppléments d’honoraires, sanctions automatiques en cas de dépassement, possibilité de suspendre un numéro INAMI sans recours judiciaire, conditionnement des primes au conventionnement… Autant de mécanismes qui, sous couvert d’une médecine plus accessible, instaurent des contraintes bien réelles sur un système déjà mis à mal.

Une pratique de plus en plus intenable

Derrière ces mesures, des réalités concrètes : investissements non remboursés, matériels de pointe à charge du professionnel, pressions administratives croissantes, incertitude financière. Un praticien hospitalier témoigne sur Facebook : « Un accouchement en pleine nuit est facturé 390 euros. Après prélèvement par l’hôpital, il me reste 257 euros bruts. Une fois les frais et cotisations payés, il ne me reste que 70 à 80 euros nets… pour parfois quatre heures de travail ».

Et ce n’est pas une exception. Un autre ajoute : « Chaque mois, je dois couvrir mes frais de cabinet, payer mes assurances, renouveler mon matériel, assurer ma formation continue. Tout cela, sans jamais être malade, sans pension complémentaire, sans filet ».

Un malaise qui dépasse la question des honoraires

« Je ne suis pas une commerçante. Je suis une soignante. Mais les charges sont là : une assistante à payer, un matériel stérile à acheter, des mises aux normes incessantes. Et pourtant, on voudrait que je baisse encore mes tarifs, qu’on ne dépasse jamais rien… Au nom de quoi ? Pour ne pas froisser une mutuelle » ?

Ce qui révolte le plus ? L’image véhiculée. « Ce n’est pas une grève de riches. C’est un cri de survie », lit-on dans une publication. Pour de nombreux soignants, l’accusation de cupidité est une violence symbolique. « Quand j’entends dire que nous ‘profitons du système’, j’ai honte pour ceux qui tiennent ce discours. Sans les honoraires différenciés, c’est non seulement ma pratique qui s’effondre, mais aussi tout l’équilibre budgétaire des hôpitaux ». 

L’épuisement au quotidien

Sur les réseaux, les témoignages dessinent aussi une charge mentale lourde. Un dentiste évoque le surmenage, l’isolement : « On attend de nous que nous soyons irréprochables, disponibles 24h/24, et en même temps soumis à des contraintes administratives absurdes. On oublie qu’on est humains ».

Une généraliste ajoute : « Je dois gérer une consultation entière en quinze minutes. Je n’ai plus le temps d’écouter, de comprendre, d’examiner correctement. Je ne soigne plus, je traite à la chaîne ». Le conjoint d’une praticienne livre un témoignage intime : « J’ai changé de travail pour rester disponible le matin, au cas où ma femme serait rappelée d’urgence à l’hôpital. Les week-ends, les soirées… elle est absente. On vit sous pression depuis quinze ans. Elle mérite au moins de pouvoir vivre de son métier ».

De partenaires à contrôleurs ?

Autre point de crispation : le rôle grandissant des mutuelles, accusées de dérive assurantielle, de rétention abusive de remboursements, et de contrôle excessif sur les prestataires. « Les mutuelles ne sont plus des partenaires sociaux. Ce sont devenues des assureurs privés qui cherchent à faire des économies sur le dos des soins », résume un médecin.

Retards de paiement allant jusqu’à quatre mois, refus de remboursement injustifiés, demandes intrusives de données médicales : les exemples abondent. Certains praticiens rapportent que des dossiers sont désormais externalisés à l’étranger, y compris en Inde, posant un grave problème de confidentialité. « Où est encore la mission sociale des mutualités ? », s’interroge une généraliste.

Et derrière la technique, une angoisse éthique. « Le ministre veut pouvoir retirer un numéro INAMI sans passer par la justice, sans décision de l’Ordre. Et pour ça, il faudra accéder au dossier médical du patient… Vous imaginez ? Le secret médical sacrifié pour une sanction administrative ».

Une réforme sans les soignants ?

Les prestataires ne s’opposent pas à toute réforme. Ils demandent une concertation digne, un respect de leur expertise, une reconnaissance de leur engagement. « Le pire système, c’est celui où les patients croient que les soins sont gratuits, et les médecins, que soigner ne coûte rien », glisse un médecin de première ligne.

« Une réforme de santé ne peut se construire sans ceux qui en incarnent la vocation. Imposer des règles sans concertation, affaiblir la médecine libérale au nom de l’idéologie ou d’une gestion comptable, c’est faire le choix du court terme. Le 7 juillet, les soignants ne désertent pas. Ils défendent l’essentiel : leur autonomie, leur éthique, et la qualité des soins que nous recevrons demain », témoigne enfin un médecin généraliste.

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Derniers commentaires

  • Jean LANSMANNE

    07 juillet 2025

    En tant que président de la Société Royale Belge d’Homéopathie, je vous confirme que mes confrères et moi-même pratiquons sous l’étiquette officielle de la médecine générale. 
    Cependant nous pratiquons selon une approche differente qui nous impose d'accorder à nos patients un temps de consultation vraiment tres long.
    Bon nombre d’entre nous sont titulaires d’une reconnaissance de notre compétence complémentaire par le SPF Santé publique lui-même, avec n° de visa accordé dans le cadre de l’article 11 de la loi du 22 avril 2019, sous le titre officiel de « médecin-homéopathe ». 
    Compétence complémentaire dont l’acquisition a exigé de nous des années de travail après le diplome de medecine.
    Nous travaillons malgré cela sans aucun code de prestation spécifique. Cette situation n’est tenable que si nous gardons la possibilité de conserver des suppléments d'honoraires cohérents et libres hors conventionnement.
    Dr Jean Lansmanne