«Je suis dans les starting-blocks, mais je ne peux pas partir»: Vandenbroucke freine la carrière d'un jeune ophtalmo

La perspective d’un plafonnement des suppléments d’honoraires dans les soins ambulatoires crée une grande incertitude chez les jeunes médecins spécialistes. Pour l’ophtalmologue limbourgeois Frédéric Smeets, la politique du ministre Frank Vandenbroucke a des conséquences profondes. Ses plans pour développer son propre cabinet sont contraints de rester « en pause ». Il est prêt à démarrer, mais l’incertitude liée à la loi-cadre ne le permet pas. Ce qui demeure, c’est un sentiment de déception et d’indignation.

Diplômé en ophtalmologie et actif depuis deux ans, Frédéric Smeets combine aujourd’hui une fonction de consultant à l’UZ Leuven avec un travail en pratique privée chez EyeClinic. Son intention était, à court terme, de s’associer ou de lancer en indépendant un cabinet dans la région de Hasselt. Mais il a provisoirement remisé ce projet. « Je veux investir, mais je ne sais pas sur quoi me baser. Sans garanties ni perspectives claires, on n’engage pas des investissements financiers lourds. »

Le plafonnement envisagé des suppléments à 25 % dans le secteur ambulatoire rend les risques particulièrement élevés pour les jeunes médecins. « Je peux établir un business plan, mais je n’ai aucun fondement sur lequel l’asseoir. Personne ne sait à quoi ressemblera la situation dans deux ou trois ans. Comment, en tant que jeune médecin, prendre alors un choix d’investissement responsable ? »

Des collègues expérimentés, à la tête de leur propre cabinet, lui ont adressé un message limpide : si les marges se réduisent encore, vaut-il la peine d’y consacrer tout son temps et son énergie ? Ce n’est pas seulement la sécurité de revenu qui s’érode, c’est aussi le socle sur lequel on construit le modèle d’un cabinet.

Est-il dès lors totalement exclu de lancer, dans un avenir proche, une pratique d’ophtalmologie extra-hospitalière ? « Pour l’instant, j’attends de voir. La possibilité d’élaborer un modèle rentable dépendra de l’évolution des décisions politiques. Si un jour j’ose franchir ce pas, il faudra aborder investissements et coûts avec une extrême prudence. Ce sera étape par étape, et peut-être avec plusieurs collègues. »

Le secteur intrahospitalier sous pression

Si des médecins extra-hospitaliers renoncent ou suspendent leurs projets, le système de soins se tend. « Nos hôpitaux ne sont absolument pas armés pour cela. Ils n’ont ni la capacité ni les moyens logistiques pour accueillir tous les médecins extra-hospitaliers. Il manque tout simplement de l’espace, du personnel et du temps de bloc opératoire pour absorber cet afflux. De plus, si tout doit se dérouler en intrahospitalier, les délais d’attente s’allongent et l’accessibilité diminue. Je crains que ce soit la conséquence la plus criante des mesures annoncées. »

Parallèlement, Frédéric Smeets observe que des groupes de capital-investissement rachètent de plus en plus de cabinets médicaux, un phénomène déjà bien ancré en dentisterie et qui fait désormais son entrée en ophtalmologie. « Les médecins deviennent alors salariés de groupes d’investisseurs qui gèrent tout. Pour moi, cela retire précisément ce qui rend la profession attractive : votre liberté professionnelle, vos responsabilités, votre vision des soins. La profession libérale est en train de disparaître. »

Frank Vandenbroucke a récemment affirmé s’opposer à cette commercialisation des pratiques médicales, mais selon Frédéric Smeets, c’est justement sa politique qui accélère ce processus : « Seuls les grands acteurs commerciaux, capables de réduire leurs coûts grâce à des achats en gros et de fonctionner avec de meilleures marges, survivront. »

« Médecine à deux vitesses »

Pour le jeune ophtalmologue, il est clair qu’aujourd’hui la politique est guidée par l’idéologie, non par la concertation ou une vision de long terme. « Le ministre Vandenbroucke veut éviter une médecine à deux vitesses, et je peux l’entendre. Mais avec ce qui se passe, il obtiendra probablement l’effet inverse. » Ce qui l’irrite surtout, c’est le manque de clarté et de dialogue. « La politique ne communique pas de manière transparente. On ne sait pas vers quoi on travaille. Comment, en tant que jeune médecin, construire sa carrière, investir ou prendre des risques ? »

Des collègues partagent ce sentiment de déception et d’indignation. « Nous avons été formés dans un esprit de compétition et voulons contribuer à notre manière à un système de santé solide. Mais ce qui s’est passé l’an dernier a brisé cette ambition. Le cadre d’exercice a complètement changé. Vous êtes dans les starting-blocks, mais vous ne pouvez pas partir. »

Faute de perspectives, de plus en plus de jeunes médecins regardent au-delà de la frontière. « J’ai déjà consulté des offres d’emploi aux Pays-Bas. Là-bas, les soins oculaires extra-hospitaliers sont largement ancrés. Les traitements laser, les opérations de la cataracte, les blépharoplasties : tout cela se pratique dans des centres privés. Cela offre, pour qui veut travailler en indépendant, une vraie perspective, si cela n’était plus possible en Belgique. »

Frédéric Smeets continue pourtant de croire au potentiel du modèle belge. « Notre système de santé est très réputé, innovant et accessible. Mais c’est aussi un équilibre fragile. Si l’on y va avec "un marteau idéologique", on en attaque les fondations. Ce que nous voyons aujourd’hui, c’est un démantèlement de l’offre extra-hospitalière. »

Le ton du débat n’aide pas non plus. « Les médecins sont présentés comme des profiteurs. On sème la division entre intra- et extra-hospitalier, entre spécialistes et généralistes. Cette polarisation est néfaste. Nous devons justement travailler ensemble à des soins tournés vers l’avenir. »

Sans vision, pas d’avenir

Il faut une vision fondée sur la concertation et la confiance réciproque, insiste-t-il. « Les médecins ont besoin de perspectives. À quoi ressembleront les soins dans quelques années ? Où et comment le ministre Vandenbroucke veut-il économiser ? Aujourd’hui, personne ne sait où il en sera dans trois ans. »

Sa conclusion est limpide : « Dans la vision du ministre Vandenbroucke, l’esprit d’entreprise ne semble pas aller de pair avec le soin aux patients. C’est une erreur : ce sont précisément ces médecins libéraux qui font aussi la différence. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une politique qui donne confiance. Et certainement pas d’une politique qui sape délibérément notre avenir. »

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Derniers commentaires

  • Geneviève RINCHON

    13 octobre 2025

    Excellente analyse. Je suis ophtalmologue extra hospitalière exclusivement depuis 12 ans, déconventionnée depuis le début de ma carrière ( plus de 30 ans ).
    Les suppléments d'honoraires limités à 25% ( soit environ 12,50 € par consultation), c'est invivable, impossible d'investir dans du matériel de qualité, qu'il faut malgré tout remplacer tous les 8 à 10 ans. Ne parlons même pas des frais de logiciel pro, matériel informatique, secrétariat, personnel éventuel...
    Je suis en fin de carrière, je suis dégoutée, et je plains vraiment les jeunes médecins.

  • Laurence Galanti

    12 octobre 2025

    Egalement tout à fait d'accord avec ce jeune médecin.
    Limiter la liberté de gestion de l'activité des médecins extrahospitaliers sous le prétexte fallacieux de quelques dérives, basé essentiellement sur une idéologie personnelle du ministre de la santé, aura des effets délétères sur les capacités et la qualité de prise en charge des patients .... bienvenue dans le monde de la future médecine belge d'état ...

  • Alain STERCKX

    09 octobre 2025

    Tout a fait d'accord avec le triste constat de ce jeune médecin.
    Moi-même comme médecin spécialiste extra hospitalier exclusif agé de 67 ans j'envisage l' arrêt complet de mes activités si on plafonne les suppléments à 25 %.
    Nous ne serons bientôt plus une profession libérale...