Covid-19 : gestion de la 4ème vague et choix éthiques (Lettre ouverte)

Les Directions Médicales du Centre Hospitalier Régional Sambre & Meuse, du CHU UCL Namur et de la Clinique Saint-Luc Bouge ont co-signé et transmis aujourd'hui aux politiques, aux organisations hospitalière et à différents fonctionnaires un courrier dans lequel elles alertent les autorités sanitaires belges sur la gestion de la 4ème vague et les choix éthiques qui en découlent.

Voici le courrier envoyé :

Mesdames, Messieurs,

Dans le contexte actuel de cette quatrième vague où de très nombreux patients covid nécessitant des soins intensifs sont des patients ayant fait le choix d’être non vaccinés, la priorisation absolue qui semble être donnée aux patients covid au détriment d’autres patients graves, doit faire l’objet d’un réel débat éthique avec toutes les parties concernées.

Les hôpitaux du Réseau Hospitalier Namurois ont atteint un taux d’occupation de leurs lits de soins intensifs réservés aux patients Covid proche des 50% de leurs capacités opérationnelles.

Nous tenons à attirer votre attention sur le caractère irréaliste de la précédente circulaire HTSC nous enjoignant de passer dès l’atteinte du seuil de la phase 1B à présent en phase 2A et d’ainsi réserver 60% des lits de soins intensifs aux patients covid. La nouvelle circulaire HTSC reçue ce 30/11/2021 à 18h24 l’est tout autant et pose davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses.

1. Evolution épidémiologique et situation dans les hôpitaux

Nous vous confirmons que nos hôpitaux sont effectivement arrivés à saturation, tant aux soins intensifs qu’en unités de soins conventionnelles et ce, pour la prise en charge de tous les patients. Nous déplorons d’apprendre aussi tardivement que les modélisations mathématiques prévoient un débordement des capacités hospitalières endéans les deux semaines. Pour pouvoir anticiper et gérer au mieux nos activités, nous avons à plusieurs reprises demandé à l’Inspection d’Hygiène Fédéral de pouvoir disposer des résultats de ces modélisations ainsi que de l’occupation réelle des hôpitaux de l’ensemble du pays. Ces demandes sont restées vaines. Nous vous assurons de notre capacité à interpréter de telles simulations et à ne pas diffuser de façon inappropriée des informations qui nous seraient déclarées comme confidentielles. Nous vous demandons dès lors quelles sont les raisons de cette absence de communication et de transparence ? Afin d’éviter un futur nouveau manque d’anticipation et prise de mesures drastiques avec effet immédiat, quand pourrons-nous disposer des dernières modélisations disponibles ? Quelles mesures plus globales et radicales comptez-vous prendre afin d’enrayer cette pandémie ?

2. Passage à la phase 1B du Plan Surge Capacity

Nous prenons acte de votre demande d’assurer dès maintenant la mise à disposition de l’intégralité de la phase 1B. Nous vous confirmons et certifions que les fermetures de lits auxquelles nous avons été contraints ne le sont pas par mauvaise volonté mais par un manque réel de personnel.

Nous prenons également acte de votre demande de malgré tout ouvrir à nouveau ces lits fermés de soins intensifs et ou de « middle care » en y affectant un personnel moins qualifié que celui qui y est normalement requis. Nous vous rappelons la démonstration scientifique qui a été réalisée sur l’accroissement de morbidité et mortalité dans semblables unités. Comme stipulé dans la dernière circulaire, seule la solidarité et une répartition optimale entre tous les hôpitaux peuvent garantir un maximum de soins réguliers pour les patients non-covid. A cette fin, nous insistons une nouvelle fois que le plan de répartition national soit d’abord mis en oeuvre et que les patients soient répartis dans les unités correctement staffées à l’échelle du pays et non d’une Province ou d’un réseau. Quelles sont les modalités concrètes de mise en oeuvre de ce plan de répartition ? Qui en assure le suivi ? Nous vous demandons explicitement si les auteurs de cette circulaire déchargent officiellement les Directions générales, les Directions Médicales et les Directions de Département Infirmier de la responsabilité éthique et juridique qu’entraîne cette injonction par ex via la mise sur pieds d’unités staffées par un personnel moins qualifié. En l’absence de réponse écrite de votre part, nous considérons que ce sera le cas.

3. Report des soins réguliers non urgents

Dès la phase 1B, tous nos sites ont déjà dû annuler ou reporter des interventions lourdes nécessitant des soins intensifs. Ces interventions ne relèvent jamais d’une médecine « de confort » mais ont toujours un caractère vital. Reporter un triple pontage coronaire met la vie du patient concerné en danger en l’exposant au risque d’infarctus. Reporter une exérèse chirurgicale lourde d’une tumeur non métastasiée expose le patient au risque de dissémination. Aucune des circulaires précédentes n’a précisé ce qu’étaient les « soins urgents et nécessaires », faisant porter la responsabilité éthique et juridique sur les médecins chefs, les Directions générales et Directions des Départements Infirmiers. Si ce n’est toujours pas le cas, la circulaire de ce 31/11/2021 nous précise sans ambiguïté que 800 lits des soins intensifs du pays sont nécessaires pour assurer ces soins urgents et nécessaires, soit 40% des lits agréés. Face à l’annonce faite de débordement imminent de nos capacités hospitalières aux soins intensifs et afin de guider les décisions éthiques qui devront être prises, pourriez-vous nous confirmer que nous pouvons nous baser sur ce ratio dans le calcul des lits que nous pouvons consacrer aux patients non covid dans nos unités de soins intensifs ? Le nombre de lits renseignés en colonne (4) de l’annexe (Total number of ICU beds for Non-COVID) correspond-il au nombre de lits « pour soins urgents et nécessaires » ?

Nous émettons de vives réserves sur la possibilité de réaffecter comme demandé le personnel du bloc opératoire et de la salle de réveil dans l’encadrement de la pleine capacité des soins intensifs de la phase 1B. Nous ferons bien entendu et comme demandé « tout notre possible » pour rouvrir les lits USI fermés ou les transformer en lits middle-care. Par contre, l’ordre formel d’y affecter le personnel du bloc opératoire nous expose au mieux à majorer l’absentéisme pour cause de maladie (burnout), au pire à accélérer le nombre croissant de démissions. Quelles sont les pistes envisagées dès à présent pour ensuite relancer l’activité hospitalière et maintenir la qualité des soins ?

4. Mesures alternatives et d’accompagnement

Même si les mesures financières d’accompagnement ont permis de faire face aux impératifs immédiats de la crise, la prolongation de celle-ci crée une situation à nouveau exceptionnelle avec une incertitude permanente sur les marges nécessaires à la stabilité économique de nos institutions.

Pourriez-vous dès lors préciser davantage quelles sont les « mesures alternatives et d’accompagnement afin de réguler les entrées et sorties de patients, ainsi que de compenser l’impact des mesures » qui sont étudiées ? Ces mesures comprennent-elles un volet financier ?

Nous sommes particulièrement préoccupés par le personnel soignant. Il nous parait nécessaire d’envisager sans délai une valorisation substantielle de l’investissement des équipes infirmières dans la prise en charge les patients Covid. En l’occurrence, il s’agirait à la fois d’une reconnaissance de leur travail lourd et spécifique mais également d’un incitant dans une période particulièrement difficile en matière de ressources humaines.

En vous remerciant de votre attention au présent courrier, nous vous prions de croire, Mesdames et Messieurs, en l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Pour le Centre Hospitalier Régional Sambre et Meuse

Dr Alexandre Hébert, Directeur Médical – CHRSM – site Sambre

Dr Marc Vranckx, Directeur Médical – CHRSM – site Meuse

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Derniers commentaires

  • Thérèse RICHE

    06 décembre 2021

    Entièrement d'accord avec toutes les réactions précédant la mienne.
    Le choix de ne pas être vacciné ne devrait pas exister....dans le cas COVID.
    Attention à l'excès de démocratie...J'ai 77 ans et j'ai appris, en humanité (étude secondaire) que l'excès de démocratie menait irrémédiablement à la dictature.

  • Catherine WARNOTTE

    02 décembre 2021

    Effectivement, il est grand temps de se poser ce genre de question. Espérons que cet appel soit entendu. Force et courage à tous!

  • Donald Vermer

    02 décembre 2021

    Depuis le début de la crise, aucune mesure de recrutement du personnel infirmier n'a été concrétisée et aucune ouverture de lits prévue pour accueillir les patients.Nous nous trouvons donc dans une impasse avec un manque de lits et d'effectifs humains

  • Bénédicte BAYET

    02 décembre 2021

    Est-il éthique de donner priorité à un patient Covid par rapport à un patient cancéreux ou cardiaque ? Et encore plus si ce patient covid non vacciné a fait le choix de ne pas recevoir le vaccin ?

  • Harry DORCHY

    02 décembre 2021

    Merci pour cette très juste et rigoureuse lettre concernant les choix éthiques.

    Donc à cause des complotistes antivax (dont hélas des «médecins» comme on peut le lire quotidiennement dans MediQuality, sans compter les faux CST), des libertaires égoïstes antivax, anti-masques, anti-distanciation, il va falloir pratiquer, dans les hôpitaux, l’eugénisme, en sélectionnant les individus en se basant sur la gravité de leur maladie et leur âge pour les éliminer, faute de soins, dans le cadre d’une sélection prédéfinie.

    Pas vacciné.e, j’attrape une forme grave du covid, mais alors j’irai à l’hôpital où on me réserve d’office un lit en soins intensifs en empêchant d’opérer les cancers de la prostate, en reportant les pontages coronariens etc., et c’est la sécu donc les autres qui payeront la facture.

    Seule solution qui se dégage dans plusieurs pays européens et qui devrait être appliquée sur toute la planète: vaccination obligatoire, port correct du masque presque partout, y compris chez les enfants en Belgique et pas seulement en Flandre, distanciation entre individus, purification de l’air. Sinon la pandémie se poursuivra avec des usines à nouveaux variants que sont les non-vaccinés (cf Indes, Afrique australe avec en plus une prévalence de SIDA à 25%), aux dépens de l’école, de l’économie, de l’horeca, de la culture, du bien vivre-ensemble, etc.

  • Karim ABDELKAFI

    02 décembre 2021

    Bravo il est temps que nos hôpitaux se mobilisent. Vous avez mille fois raison.