Santé des réfugiés - Quel bilan? Quel suivi? Quel dépistage? Des défis multiples

La Syrie, le Kosovo, l’Afghanistan, l’Albanie et l’Iraq sont, avec les pays africains, les nations de provenance principales des réfugiés en Union européenne (Figures 1 et 2). Cette grande variété géographique explique la difficulté de la prise en charge des problèmes de santé. De plus, ces problèmes sont liés aussi à leurs conditions de migration, leur pays d’origine et leur pays d’asile, le fait qu’ils soient illégaux ou simplement demandeurs d’asile, leur âge, rappelle Christine Chomienne (Hôpital St Louis, Paris) en guise d’introduction à la session ‘Hematology-in-Focus - Refugees in 2016 - New Hematological Challenges’ de l’EHA spécifiquement consacrée aux problèmes de santé des réfugiés, une population qui se manifestera souvent avec des problèmes hématologiques sous-jacents.

 

Une population aux multiples profils

Les profils de vaccination des réfugiés sont très différents selon le pays d’origine. Par ailleurs, quel que soit le pays dont ils proviennent, il faut tenir compte des conditions de migration, qui peuvent être très variables avec des conséquences d’autant plus sévères que le trajet a été de plus longue durée: traumatismes, brûlures, hypothermie, déshydratation, noyade, coups de chaleur, affections alimentaires infectieuses ou non, respiratoires, cutanées (poux, gale, mycoses), séquelles de violences y compris sur le plan sexuel… se retrouvent à des degrés divers, les personnes les plus vulnérables étant les demandeurs d’asile, principalement les femmes et les enfants (1).

 

Figure 1.

 

Figure 2.

 

«Dans ces conditions, il semble logique qu’un tri médical soit effectué lors de leur entrée dans le pays d’asile afin de leur offrir les meilleurs soins médicaux possibles», constate Christine Chomienne. «L’OMS recommande cependant que ce screening ne soit pas obligatoire mais réalisé sur base volontaire. L’OMS rappelle aussi que la plupart des maladies infectieuses à risque (on pense ici au virus Ebola, dans une moindre mesure au virus Zika) sont transmises par des voyageurs ‘normaux’ et non par des réfugiés. Enfin, l’OMS recommande que l’on propose à tous dans le cadre de l’examen volontaire un dépistage du cancer et une recherche clinique attentive des signes d’anémie» (1).

On perçoit sans difficultés les énormes défis médicaux (quelles maladies transmissibles détecter?), administratifs, pratiques (fiabilité des traducteurs, mode de communication), culturels, éthiques (pour tous ou simplement les groupes à risque?), juridiques (enfants mineurs non accompagnés, illégaux, demandeurs d’asile) et économiques (1,82 million de migrants ont ainsi été recensés en 2015) que soulève la prise en charge de ces personnes en souffrance.

Chez l’enfant, ce seront surtout les troubles gastro-intestinaux et de malnutrition, les infections respiratoires (et la tuberculose) et de tous ordres liés aux conditions d’hygiène difficiles encourues au cours de leur migration, ainsi que les carences vaccinales qui devront retenir l’attention (2).

Sur le plan hématologique pur, les hémoglobinopathies doivent être dépistées attentivement, de même que les divers types d’anémie qui devront être traitées selon leur étiologie. Les facteurs de risque d’hémopathies malignes et leurs comorbidités (cardiovasculaires, diabète) sont également différents selon les pays et le stade de la maladie au moment du diagnostic sera souvent plus avancé. Enfin, il faut se rappeler que le polymorphisme génétique des hémopathies malignes est variable selon les populations concernées et les traitements disponibles différents selon ces polymorphismes… (2)

 

Drépanocytose et thalassémie au premier plan des préoccupations

«Il n’existe pas de données officielles sur ces problématiques que les praticiens rencontrent au quotidien sur le terrain. Il est donc difficile de proposer une attitude simple pour les prendre en charge», souligne Andreas Kulozik (Heidelberg), d’autant que l’on sait que la majorité des réfugiés ont moins de 35 ans et que leurs pays d’origine sont très différents. Cela dit, on sait que les réfugiés proviennent des régions du monde où ces deux affections hématologiques se rencontrent le plus fréquemment (3), ce qui peut expliquer que le nombre de diagnostics de drépanocytose effectués chaque année en Allemagne, le pays qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés (près de 650.000), a explosé ces dernières années: 81 cas à l’hôpital universitaire de Ulm entre 1972 et 2012 (sur 30 ans!) contre 190 entre 2013 et 2015 (sur 3 ans!). Le même constat vaut pour les thalassémies alpha et bêta et pour les hémoglobinopathies HbC, HbD et HbE… (4).

Dans l’immédiat, c’est l’urgence qu’il faut prendre en charge en gardant en tête que la drépanocytose est une affection multiorganique (Figure 3).

 

Figure 3.

 

Hors urgence, ces patients doivent bénéficier d’une prophylaxie à la pénicilline associée à une vaccination pneumococcique et méningococcique, le recours régulier à des transfusions ou un traitement par hydroxycarbamide et un traitement par inhibiteur de l’enzyme de conversion en cas de protéinurie afin d’éviter les complications (3). Il faut aussi préparer ces patients à une transplantation médullaire et effectuer un dépistage néonatal (5).

En cas de bêta-thalassémie, marquée par un excès de chaînes d’alphaglobine, l’érythropoïèse sera inefficace et l’anémie constante. Traitée par EPO, cette anémie se complique généralement d’une hyperplasie médullaire, tandis que les transfusions conduisent souvent à une hémosidérose (6). Dans ces conditions, la recherche d’un donneur pour une transplantation médullaire doit être proposée en plus d’un support psychologique et d’un conseil génétique (6). Concernant les réfugiés, la plus grosse difficulté réside dans le peu de renseignements sur leur statut et leurs traitements antérieurs. Hémosidérose? Auto-immunisation? Infections virales? Et la difficulté d’organiser un dépistage néonatal systématique et organisé.

 

Des infections ‘banales’ mais aux conséquences majeures (7)

«Outre le déficit d’immunisation vaccinale, c’est le risque d’épidémies accentuées par la malnutrition, les déplacements prolongés et les mauvaises conditions sanitaires qui conditionne le quotidien des réfugiés», rappelle Gerd Fäkhenheuer (Cologne). Dans ces conditions, il faudra être particulièrement attentif à la présence d’une tuberculose (le plus souvent multirésistante), d’une infection VIH (dans les populations subsahariennes), d’hépatites (surtout de type B chez les réfugiés d’origine asiatique), de malaria (surtout sous la forme de malaria tertiana liée au Plasmodium vivax, chronique avec poussées fiévreuses intermittentes) et de maladies parasitaires (leishmaniose, schistosomiase, amibiase, lambliase, hel-minthiase).

Cependant, la faiblesse des réfugiés et leur immunodéficience relative favorisent également le développement de maladies plus rares: fièvre Q (transmise par le bétail), borrélioses avec notamment la fièvre récurrente à poux (endémique dans la corne africaine), leishmanioses, maladies transmissibles par les ectoparasites (poux, gale)…

 

Figure 4.

 

Mais c’est essentiellement à des maladies ‘banales’ que les réfugiés succombent chez nous. Chez l’enfant, les gastro-entérites aiguës et le rotavirus font des ravages. Chez l’enfant et l’adolescent, il faut penser à la rougeole, la varicelle, les oreillons tandis que l’adulte résistera difficilement au virus de la grippe. Enfin, les infections pulmonaires et ORL se rencontrent aussi avec une fréquence particulièrement importante. «Ce sont les infections banales qui sont les plus dangereuses pour ces populations (Figure 4)», conclut-il.

 

Références
1. 6th European Conference on Migrant and Ethnic Minority HealthOslo, Norway. 23-25 June 2016.
2. No author listed. Lancet 2015;386(10000):1211.
3. Rees D, et al. Lancet 2010;376(9757):2018-31.
4. Kohne E, Kleihauer E. Data on file.
5. Vichinsky E, et al. Pediatrics 1988;81(6):749-55.
6. Luo H, Chui D. Ann N Y Acad Sci 2016;1368(1):49-55. 
7. Kupferschmidt K. Science 2016;352(6284):391-2.

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