Hospitalisation à domicile: trop de questions ouvertes pour un lancement à grande échelle

L’hospitalisation à domicile (HAD) est à l’agenda politique. D’ici à sa concrétisation, de l’eau coulera sous les ponts. Il reste à éclaircir des tonnes de questions. Qui décide d’une HAD et sur quels critères? Pour quels types de soins? Qui les responsabilise: le généraliste traitant ou le spécialiste hospitalier? Qui les délivre? Qui finance quoi et comment? Le KCE ne voit pas triompher de modèle préférentiel, ni dans la littérature ni chez les acteurs belges interrogés. Il préconise de commencer par des projets pilotes testant différentes formules d’HAD.

 

Sur mesure et sans coutures

En donnant le coup d’envoi médiatique de la réforme du financement des hôpitaux, fin avril, Maggie De Block a signalé vouloir lancer, avec les entités fédérées et encore cette année, des projets pilotes (1) dont le dénominateur commun est de déplacer des soins d’habitude prodigués en milieu hospitalier vers le domicile: l’administration d’antibiotiques par intraveineuse ou de chimiothérapies en concertation avec l’hôpital de jour oncologique par exemple, mais aussi des formes d’HAD.

Les motivations de ce «déplacement» sont plurielles. Quand on entend des médecins qui expérimentent déjà la formule (lire dans Medi-Sphere n°442 l’initiative de Verviers en oncologie, par exemple), ils s’attachent de prime abord au confort du patient, et rapportent la satisfaction de ce dernier, en règle générale, d’être soigné dans un environnement familier. Dans le chef des autorités, l’optique verse dans l’économique. Comprimer les durées de séjour et réduire le volume d’admissions doit alléger la facture des soins de santé. L’alternative HAD permettra-t-elle de dépenser moins? Difficile à dire, la façon dont elle sera elle-même financée étant encore à définir.

Une chose est certaine, pour qu’elle tienne la route, il faut se pencher énergiquement sur le fossé séparant la prise en charge hospitalière des soins de première ligne. «Il est indispensable que les hôpitaux s’intègrent davantage dans le réseau de soins qui les entoure», conforte le KCE dans son rapport. «L’intra-muros et l’extra-muros doivent s’intégrer et se compléter au bénéfice de la continuité des soins (seamless care), avec — comme point focal de la réflexion — les besoins du patient. Autrement dit: nous devons évoluer vers un système centré sur la demande plutôt que sur l’offre.»

Il faudra ce faisant surmonter l’effet concurrence (effective et ressentie). Idéalement, des services d’HAD devraient être intégrés aux autres prestataires, et pas rivaux.

Après avoir screené la littérature et analysé transversalement ce qui se faisait en matière d’HAD en France, aux Pays-Bas, dans les communautés autonomes de Valence et du Pays basque (Espagne) et dans l’état de Victoria (Australie), le KCE a interviewé une batterie d’acteurs belges des soins de santé — établissements, dispensateurs, usagers, mutualités… — sur leur perception de l’HAD. On retrouvait aussi parmi ces protagonistes les médecins généralistes.

De toute évidence, les soins prodigués en HAD peuvent être de diverse nature, mais leur dénominateur commun est d’être des actes qui, autrement, ne seraient pas effectués à domicile. Il peut s’agir de soins curatifs (médicaux et post-chirurgicaux), mais aussi palliatifs et, dans une moindre mesure, de soins de revalidation et de santé mentale. «Tant l’analyse transversale que les stakeholders belges ont insisté sur l’importance d’une prise en charge par équipe multidisciplinaire et sur l’élaboration d’un plan de prise en charge individualisé, précis et détaillé, définissant les rôles de chaque intervenant, mais prenant aussi en compte le patient et son entourage», synthétise le KCE.

 

Des responsabilités à clarifier

Il semble en effet à la fois logique et déterminant que l’action de tous les intervenants soit guidée par un plan unique qui colle aux besoins du patient, qui détaille le planning du suivi, la gestion des médicaments, la marche à suivre en cas d’urgence et les professionnels à contacter, l’articulation entre l’HAD et les soins à domicile classiques — comme des soins de toilette —, et qui stipule une limite claire à partir de laquelle le patient ne sera plus considéré comme en HAD. Par ailleurs, il est impératif d’éclaircir, dans ce plan, la question du partage des responsabilités médicales: qui fait quoi sous la tutelle de qui? Qui est le médecin responsable du suivi médical et de la mise à jour du dossier du patient?

Le KCE a observé plusieurs scénarii hors frontières: «En France c’est un MG — et de préférence le médecin traitant du patient — qui est responsable du suivi médical. Dans les régions autonomes d’Espagne, ce rôle revient à un médecin attaché à l’HAD, généraliste ou interniste. Dans le comté de Victoria et aux Pays-Bas, le suivi médical reste principalement aux mains d’un spécialiste travaillant à l’hôpital.»

 

La Belgique vote pour le MG

Face à cette palette de formules, la préférence des interviewés belges est allée à l’implication du MG. Elle est qualifiée d’essentielle pour assurer la continuité des soins, mais le KCE a constaté qu’il persistait des divergences de vues quant au degré de cette implication. Quelques conditions se sont fait jour, pour permettre au MG d’assumer ce suivi, notamment la possibilité qu’il garde un contact étroit avec son confrère spécialiste et qu’il existe une coordination efficiente entre les soins médicaux, les services sociaux et les services de support. «Le modèle de fonctionnement actuel des soins palliatifs a été à plusieurs reprises évoqué comme une solution adaptable à l’HAD, avec une équipe de soutien spécialisée en appui pour le médecin généraliste.»

 

De l’huile dans les charnières

Autre point d’attention qui se dégage du rapport, outre cet aspect de partage de responsabilités: le «lissage» des ruptures potentielles. Pour que la continuité ne soit pas un vain mot, le plan de prise en charge doit prêter une attention toute particulière aux transitions, en amont et en aval de l’HAD, «ce qui implique de développer et de promouvoir l’usage de protocoles de soins et de dossiers informatisés partagés».

Une coopération entre les politiques de santé d’une part et d’aide à la personne de l’autre s’impose également. La Belgique ne manque pas de structures de coordination, plateformes et réseaux locaux (tant dans le domaine médical que dans celui du support social) mais les acteurs interviewés par le KCE ont pointé les redondances et le manque d’interactions. D’où le mot d’ordre de simplification et de rationalisation, qui rejoint un autre refrain du rapport du KCE: ne pas créer de nouvelles entités pour l’HAD, d’abord voir ce qu’on peut imaginer avec les structures existantes.

 

Cadastre et case management, le retour

Deux conditions critiques doivent être réunies pour que le concept décolle, retient encore le KCE à l’issue de son tour de table des acteurs de terrain. Il faut primo qu’il y ait une réelle volonté de s’investir dans les programmes d’HAD de la part des généralistes (dont, on ne vous apprend rien, les effectifs vieillissent) et secundo qu’il y ait disponibilité d’infirmiers qualifiés (que les hôpitaux et autres structures de soins se disputent déjà). Le KCE enjoint par conséquent de mettre en œuvre un monitoring des ressources humaines. Et on en revient au débat sur l’identification la plus précise et dynamique possible des forces vives…

Autre monstre du Loch Ness sectoriel qui refait surface, au confluent de la réflexion HAD et des cogitations conduites jusqu’ici sur la gestion des malades chroniques: la fonction de case manager. Tous les exemples étrangers épluchés par le KCE ont un case manager, professionnel de santé, qui gère les plans de prise en charge et coordonne les différents intervenants (en ce compris non médicaux) au chevet du patient. On sait que, dans la communauté des MG, on ne veut pas forcément lâcher la casquette de la coordination (certainement pas celle des soins, passe encore pour l’orchestration des aides et supports non médicaux). D’après le KCE, «les acteurs belges interviewés proposent également qu’une telle fonction soit intégrée à des structures comme, par exemple, les groupements de médecins généralistes ayant développé une équipe multidisciplinaire, ou les organisations de soins à domicile».

 

Un cadre, pour commencer

Il existe déjà quelques initiatives d’HAD en Belgique, mais elles sont isolées et sans règles communes de fonctionnement. Quoi qu’il en soit, plutôt que de s’embarquer dans un lancement global, le KCE préconise de procéder par projets pilotes (lire également ci-contre), qui seront évalués. Pour entourer un tant soit peu cette activité, un cadre légal de base devra toutefois être élaboré, avec des critères d’éligibilité des patients, des prérequis organisationnels, des normes de sécurité et de qualité des soins adaptés aux spécificités de l'HAD. Cadre pouvant être retouché après évaluation des projets expérimentaux. Ceux-ci serviront aussi à confirmer qu’elle est aussi sûre qu’un séjour intra-muros et voir si elle s’avère plus efficace — hormis sous l’angle satisfaction du patient, qui semble déjà acquise.

 

Dis-moi de qui tu dépends…

Quid, enfin, du nerf de la guerre, de la façon dont les services HAD doivent être financés? Le KCE a constaté que, à l’étranger, le financement dépendait étroitement de leur ancrage dans le système (une HAD peut refléter la démarche de l’hôpital qui «sort de ses murs» ou celle des soins ambulatoires qui ajoutent une corde à leur arc). Impossible, par conséquent, de proposer des modalités de financement indépendantes: mieux vaut percevoir l’HAD comme une extension du système auquel elle est attachée. Et il faut veiller à éviter les phénomènes de double paiement (par exemple quand le patient quitte un «circuit» pour l’autre). Les discussions sur le financement de l’HAD — encore à venir, à la lueur des expériences pilotes — doivent en tous cas rester alignées sur celles actuellement en cours à propos de la réforme globale du financement hospitalier, estime le KCE.

Enfin, parce qu’en Belgique, rien n’est simple, une collaboration entre les différents niveaux de gouvernance, entre lesquels sont éclatées les compétences en santé et action sociale, sera requise pour donner corps (et moyens) à l’HAD. Du pain sur la planche, avez-vous dit?

 

Complexe, chronophage… donc mieux honorée ?

Le KCE souligne qu’il faudra veiller à faire correspondre la rémunération des médecins, majoritairement payés à l’acte en Belgique, à la charge de travail induite par l’hospitalisation à domicile.

L’exemple français montre des réticences des MG à s’engager dans la filière HAD parce qu’ils estiment que la rémunération prévue ne correspond pas à la charge de travail induite par cette pratique, charge elle-même liée à la complexité des cas, ni au temps passé à des activités qui ne relèvent pas du soin proprement dit, comme les tâches de coordination ou encore l’éducation du patient et de son entourage.

 

1. Les suggestions de thèmes, brièvement motivées, peuvent être envoyées à hospfin-pilot@minsoc.fed.be jusqu’au 6/9/15. Des infos sur les objectifs et critères attendus sont disponibles sur les sites de la cellule stratégique de la ministre De Block, du SPF Santé publique et de l’Inami.

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